Voyage en terre inconnue

24 juin 2022

Il y a d’abord eu le manque de désir, puis la haine de l’autre, et maintenant la peur du vide. Comme un divorce malheureux. La France est dans tous ses états. Il va falloir apprendre à vivre autrement.

Le spectre abhorré de la 4e République plane sur le pays avec son souvenir de dissolutions et de remaniements à répétitions. Le pays serait ingouvernable, le futur parlement, une chambre infernale. L’insécurité, la chienlit. L’absence de majorité absolue semble plus terrifiante que le rêve de grandeur d’un Jean-Luc Mélenchon, ou le score imposant d’une Marine Le Pen.

Keystone/AP/Thibault Camus

A défaut d’une Assemblée automatiquement aux ordres, il faudra composer.

Le pouvoir ruisselle du haut, en France. Macron en avait accepté le principe, avec plaisir, ajoutant au job présidentiel une touche plus personnelle. Il se recommandait de la figure tutélaire de Jupiter, il détenait la vérité, seul. Le dieu tonnant, bruyant, volontiers en colère, doit en rabattre. Il y a peu, il plaidait pour une nouvelle méthode, empreinte d’écoute, se voulant plus partageux, disant vouloir amender l’exercice solitaire du pouvoir. Y croyait-il ? Peu importe, les électeurs le lui imposent.

A défaut d’une Assemblée automatiquement aux ordres, il faudra composer. Ce sera techniquement compliqué. L’apprentissage sera rude. En France, le compromis est vite synonyme de compromission. Il est suspect par principe. L’idée que toutes les parties peuvent profiter d’un accord n’est pas vraiment partagée. La polémique ne s’éteint jamais, la bagarre se poursuit par tous les moyens. Il faut un vainqueur, et un vaincu. On gagne, ou on perd. Pas de milieu. Les révolutionnaires ont fini par guillotiner le roi.

On voudrait dire à nos chers voisins que le compromis, ça a du bon, que la vérité n’est jamais tout à fait ici, ni complètement là. Nous acceptons volontiers de taire nos divergences une fois l’accord trouvé. On voudrait les encourager à regarder ce qui s’est passé en Allemagne avec la coalition formée par le Parti social-démocrate, les Verts et les Libéraux, réussissant à signer un accord de gouvernement. Ou observer l’Italie. Des modèles certes très éloignés de la culture politique française.

Comment passer du temps électoral au temps parlementaire ? Pas évident pour celles et ceux qui annoncent vouloir surtout « faire du chahut ». Ou qui sont animés d’un sentiment de revanche. Qui souhaitent faire du bruit, manifester, profiter de cette tribune inespérée. Le compromis, lui, suppose de la bonne volonté. Il requiert plus de modestie, partant il est moins spectaculaire.

La bonne nouvelle, c’est que l’Assemblée offre une représentation plus juste du pays avec ses mouvements de protestation, ses pensées extrêmes, ses envies de changement, ses soucis, ou ses peurs.

Justement, le Rassemblement national parie, lui, sur le sérieux. Marine Le Pen enjoint ses élus et ses élues de soigner leur look, de porter cravate, de porter une veste, de bien parler aux huissiers. D’offrir l’image d’un parti respectable, raisonnable, républicain, digne de gouverner un jour. Pas de tongs et de chemises à fleur. Le diable s’habille en Prada. Mais le diable se cache dans les détails.

La bonne nouvelle, c’est que l’Assemblée offre une représentation plus juste du pays avec ses mouvements de protestation, ses pensées extrêmes, ses envies de changement, ses soucis, ou ses peurs.

Les députés héritent d’un nouveau rôle. Ils seront sollicités pour voter des projets, les faire avancer. Aujourd’hui tout les sépare, demain tout devrait les rapprocher. C’est cela sans doute la plus grande angoisse, que le compromis tue la dispute, qu’elle assèche le débat. « Supprimez la dissension, dit Sartre dans « L’Être et le Néant », éliminez, si vous le pouvez, l’heureux virus du désaccord entre « gouvernés » et « gouvernants » ; vous hériterez d’une société morte, nécrosée – vous hériterez, comme l’avaient bien vu, et Platon (pour s’en réjouir), et Machiavel (pour le déplorer), d’une société où la politique sera devenue une variante de la police » .

Sartre n’a pas toujours eu raison. L’ère de la complexité requiert de nouveaux usages. Vivre ensemble, légiférer ensemble. C’est là la vraie révolution du 19 juin. Pas sûr qu’ils choisissent de la mener jusqu’au bout.

André Crettenand