Volker Türk: „J'ai peur que les droits humains deviennent un dommage collatéral des tensions géopolitiques” — Genève Vision, un nouveau point de vue

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Entre la pandémie, la crise économique et environnementale et la guerre en Ukraine, il semble être arrivé au moment le plus difficile. « Les droits de l’Homme sont toujours quelque chose de très difficile. Il n’y a pas de moment opportun, plus difficile ou plus facile », a souligné d’emblée Volker Türk jeudi au micro de l’émission Tout un monde. « On est dans un monde très divisé, fragmenté et polarisé. Je crains parfois que les droits humains ne deviennent un dommage collatéral des tensions géopolitiques », reconnaît-il cependant. Il faut éviter ça avec une force énorme. »

Volker Türk, nouveau Haut commissaire de l’ONU aux droits de l’Homme

Les droits humains en perte de vitesse?

Alors que La Déclaration universelle des droits de l’Homme s’apprête à fêter ses 75 ans, les événements actuels laissent penser qu’ils ne sont plus une valeur commune dans le monde. Dans son discours d’ouverture du Forum de Davos, Alain Berset avait par exemple rappelé que seule 20% de la population mondiale vivait actuellement dans un pays démocratique, contre 50% il y a 10 ans. Comment renverser cette tendance?

« C’est vrai que pour le moment, on vit dans une période de transition qui est très difficile », reconnaît celui qui s’est récemment déplacé en Ukraine pour se rendre compte en personne des atteintes aux droits de l’Homme.

« En tant qu’Européens, la situation de l’Ukraine nous touche davantage. C’est quand même un pays très proche de nous. Ce qu’on voit maintenant, l’impact de la guerre sur les civils, c’est quelque chose d’abominable. Nous sommes ici à Davos, il y a de la neige, il fait froid. Imaginez que vous n’ayez pas d’électricité, pas de chauffage, pas de nourriture… », dépeint le Haut commissaire. Il témoigne aussi de ce qu’il a vu, notamment à Boutcha. « Il y avait des tortures, des enlèvements, des tueries qui se sont passées pendant l’occupation ».

Lire à ce sujet: A Boutcha en Ukraine, « les Russes tiraient sur tout ce qu’ils voyaient »

Volker Türk à propos de la situation qu’il a observée en Ukraine

Un engagement diplomatique aussi à huis clos

La grande attention consacrée à l’Ukraine a tendance à masquer les graves atteintes aux droits humains dans le reste du monde, au risque de voir disparaître des fonds. Mais Volker Türk n’oublie pas les autres pays. « Il y a par exemple Haiti, qui est une crise presque permanente. Et la situation s’est malheureusement encore beaucoup déteriorée. Plus de 1400 personnes ont été tuées par des gangs. J’ai vu que le Conseil de sécurité de l’ONU a pris position; j’espère visiter prochainement Haïti pour mettre l’accent sur cette situation, qui devient de pire en pire. Il faut faire quelque chose pour ça », dénonce la voix de l’ONU pour les droits de l’Homme.

Lire: Un climat de terreur règne sur Haïti, qui est en proie à de nombreuses crises

Mais pour agir sur ces situations, le Haut commissariat dispose-t-il de moyens de pression pour faire bouger les lignes? « Il y a différents outils: une présence opérationnelle de mon bureau sur le terrain, ou la dénonciation quand il y a de graves abus », liste Volker Türk. « Il y a aussi un engagement diplomatique à huis clos, comme au Soudan, où j’ai eu une discussion avec le général Burhan pour faire libérer des gens [ndlr: des membres de l’opposition]. Et finalement ils ont été libérés », se félicite-t-il.

Lire aussi: Signature d’un accord de sortie de crise entre militaires et civils au Soudan

« Il y aura beaucoup de pression de la part des jeunes, des femmes et des enfants »

« Il faut déjà penser à ce qu’on peut avoir dans le futur, et je suis optimiste à cet égard », confie aussi Volker Türk sur une note plus positive. « Il y a bien sûr des abus, et des pushback (ndlr: retours en arrière) que l’on voit surtout dans le contexte du droit des femmes et dans l’espace civique (…) Mais il y aura beaucoup de pression de la part des jeunes, des femmes et des enfants, pour que le monde change, pour nous donner plus de liberté », prédit-il sur la base de ses observations sur le terrain.

Propos recueillis par Anouk Henry
Adaptation web: Vincent Cherpillod

Les droits humains, cruciaux pour la bonne marche des entreprises

Pour Volker Türk, les droits humains ne pourront pas se faire sans la collaboration des milieux économiques, et inversement pour la bonne marche des entreprises. Mais comment les convaincre, et avec quels leviers?

« Je suis justement ici au WEF pour passer le message que le futur, pour les entreprises aussi, passe par le respect des droits humains, sans quoi il n’y a pas de stabilité pour les entreprises », analyse le Haut commissaire, qui aimerait que « davantage de questions relatives aux droits humains soient soulevées au WEF dans le futur ».

Avec la Chine, « je ne fais pas de différence »

Michelle Bachelet, la prédécesseure de Volker Türk, a finalement rendu son fameux rapport très attendu sur la Chine et son attitude face aux Ouïgours dans le Xinjiang, tout juste avant la fin de son mandat.

Lire à ce sujet: Le rapport de l’ONU sur le Xinjiang évoque des crimes contre l’humanité

Interrogé sur la manière dont il allait reprendre ce dossier et travailler avec la Chine, le Haut commissaire de l’ONU aux droits de l’Homme indique avoir entamé un dialogue avec les autorités chinoises.

« Il faut aussi être clair: la Chine est un partenaire important au niveau global et régional, mais il faut regarder la situation des droits humains là-bas aussi. C’est quelque chose que je fais pour tous les Etats membres. Je ne fais pas de différence ».