Une fin sans gloire — Genève Vision, un nouveau point de vue

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Mais il s’y mêle le sentiment d’une blessure narcissique, un échec moral qui les saisit plus que la défaite militaire. Comme le dit le New York Times, le rêve américain d’être la nation indispensable pour construire un monde où règnent les droits civiques, l’indépendance des femmes et la tolérance religieuse ne s’est avéré n’être que cela : un rêve.

N’est pas démiurge de la démocratie qui le décrète. Le concept de « nation-building », qui habillait l’opération militaire et justifiait sa pérennité a explosé. Soyons honnêtes, nous étions nombreux à y croire.

Qui mange avec le diable doit prévoir une longue cuiller. Tous les diplomates disent qu’il faudra bien discuter à un moment donné avec les talibans, mais ils savent aussi qu’ils doivent se méfier des nouveaux maîtres de Kaboul. C’est à peu près la seule certitude que nous ayons.

Le cimetière des empires ?

Les talibans ont-ils la capacité et les moyens de gouverner le pays ? Vont-ils réussir à unir toutes les factions ? Ont-ils les moyens de faire fonctionner l’Etat ? Vont-ils faire preuve de retenue, comme on l’espère naïvement ? Accueilleront-ils les terroristes de toute obédience ? Le départ des Américains doit-il inquiéter ses protégés, ailleurs dans le monde ? Doit-on s’attendre à une crise migratoire comparable à la crise syrienne en 2015 ? Filippo Grandi, le Haut-Commissaire de l’ONU pour les réfugiés, estime que plus de 500 000 personnes pourraient quitter le pays d’ici la fin de l’année. Le monde est à nouveau plongé dans un maelström géostratégique dont personne n’est en mesure de prévoir les conséquences.

L’Afghanistan serait le cimetière des empires, jolie formule. Plus prosaïquement, la force armée ne vaut rien si elle n’est pas au service d’un projet politique, nous rappelle cette semaine Pascal Boniface. La déroute de Kaboul en est une nouvelle démonstration.

Qui blâmer ?

On fustige volontiers ce retrait précipité, même si Joe Biden n’en est pas l’instigateur premier. Comme le relève Margaret Sullivan dans le Washington Post : “La débâcle afghane a duré deux décennies, les médias ont pris deux heures pour décider qui devait être blâmé… » Il n’empêche, les services de renseignement ont failli en assurant au président que l’armée afghane pouvait résister durablement aux talibans. Etrangement, les mêmes services avaient été pris en défaut le 11 septembre 2001, et l’on avait conclu qu’ils manquaient d’informations sur le terrain. « J’étais le quatrième président avec des troupes américaines en Afghanistan – deux républicains, deux démocrates, je ne voulais pas transmettre cette guerre à un cinquième », dit Joe Biden.

Une leçon pour le Sahel ? Les situations ne sont pas totalement comparables. Le retrait de la France n’est que partiel. Mais on y retrouve les mêmes intentions louables : combattre les terroristes sur leur terrain, former et équiper les armées, contribuer à la stabilité politique régionale. Jean-François Bayart nous livre une analyse éclairante à ce sujet.

Un régime détestable

C’est un régime détestable qui s’installe à Kaboul. Les femmes en auront le plus à en souffrir sans doute. On entend peu les organisations féministes. On n’assiste pas à un mouvement de mobilisation planétaire comme les grandes causes savent les susciter. Nous sommes peut-être sidérés devant la catastrophe et désemparés devant la brutalité qui s’annonce.

Après Kaboul qui fuit, Kaboul qui pleure. Ce sont d’autres images effrayantes qui vont nous saisir ces prochaines semaines.

André Crettenand