Une enquête révèle la pollution à large échelle de Total dans l'est du Yémen — Genève Vision, un nouveau point de vue

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Sur ce site de Total, les installations du bloc 10, gérées par la filiale yéménite du groupe, sont vieillissantes et hors des standards sécuritaires.

Pas d’usine de traitement

Auteur de l’enquête, le journaliste indépendant Quentin Müller pointe une gestion désinvolte des déchets générés par l’extraction de pétrole.

« Quand du pétrole est extrait de la terre, il contient naturellement de l’eau. Et cette eau, quand elle sort de terre, contient énormément de particules radioactives et également de métaux lourds. Pour séparer l’eau du pétrole, les industries pétrolières utilisent un cocktail de produits chimiques. Selon les normes internationales, cette eau doit donc être nettoyée », explique-t-il dans l’émission Tout un monde.

Quentin Müller, journaliste indépendant et auteur de l’enquête

Pour être purifiée, l’eau doit passer dans une usine de traitement, ce que Total n’a pas fait, au nom de sa rentabilité et de ses profits, dénonce le journaliste.

Des bassins au sommet des canyons

Dans cette région désertique de l’Hadramout, le groupe français s’est contenté de construire des bassins en haut des canyons, où il a entreposé l’eau polluée avec un simple revêtement en plastique.

Le siège du groupe énergétique français TotalEnergie dans le quartier de la Défense à Paris. [Xose Bouzas – Hans Lucas/AFP]

« Cette eau de production était donc en train de sécher à l’air libre et c’est comme ça que Total l’éliminait. Toutes les particules chimiques contenues dans cette eau remontaient donc dans l’air et étaient ensuite balayées par les vents dans la vallée, où vivent les habitants », éclaire Quentin Müller.

Ces centaines de bassins ne suffisaient pas à éliminer l’eau toxique, souligne également le journaliste. « Le surplus était donc carrément enfoui sous terre, très profondément, dans des puits pétroliers vides. Ce sont des pratiques délictueuses, illégales, qui n’ont rien à voir avec les normes internationales. »

Des cancers qui se répandent

Conséquence de ces années de pollutions, de nombreux cas de cancer sont enregistrés parmi les habitants, y compris les enfants. Dans l’enquête de l’Obs, on peut notamment lire le cas du petit Adam, qui a développé un cancer du cerveau peu après sa naissance. Trois opérations en Egypte ont été nécessaires pour retirer sa tumeur.

Depuis, l’enfant a guéri mais la maladie a laissé une trace indélébile sur son visage et son père se dit persuadé que la maladie vient des pollutions.

Quentin Müller, journaliste indépendant et auteur de l’enquête

Pour Quentin Müller, ce cas n’est qu’un exemple parmi d’autres, car « dans tous les foyers, dans toutes les familles », le cancer est présent.

« Quand je suis allé dans ces vallées-là, j’ai rencontré la mort. La mort humaine et puis aussi, la mort de la végétation environnante », témoigne-t-il.

Les nappes phréatiques touchées

Au drame humain s’ajoute une catastrophe environnementale. La région est en effet soumise à des périodes de moussons et à de fortes crues, ce qui peut faire déborder les bassins.

« Quand il pleut, cela se déverse dans la vallée où les gens vivent. Il y a une boue qui se forme petit à petit et qui devient de plus en plus condensée. Elle est très radioactive et très toxique », décrit le journaliste.

Quentin Müller, journaliste indépendant et auteur de l’enquête

Les nappes phréatiques de la région, qui sont les plus grandes du pays, sont également touchées, à cause de fuites dans les puits pétroliers. « Il y a un moment où ces puits ne sont plus vraiment étanches et où il faut les réparer. Si ce n’est pas le cas, il y a des infiltrations dans le sol de ces eaux toxiques », ajoute-t-il.

Le groupe Total dément

Dans un communiqué de presse publié sur son site internet, le groupe Total dément de son côté la plupart des accusations. Une réponse détaillée qui ne convainc pas Quentin Müller, qui y voit un mélange de « communication » et de « mensonges ».

« L’un des mensonges de Total est de dire qu’ils n’ont pas enfoui cette eau de production dans des puits inactifs. Ce sont pourtant des ingénieurs français et yéménites de Total qui m’ont raconté ces pratiques et techniques, en vigueur de 1996 à 2015 », argue-t-il.

« Total n’a par contre pas démenti qu’ils n’avaient pas installé d’usine de nettoyage de l’eau de production et qu’ils avaient utilisé des méthodes archaïques pour l’eau toxique avec les bassins. Mais ils n’ont pas dit non plus que c’était des pratiques qui étaient hors standards », ajoute-t-il.

Un éventuel procès?

Il reste difficile d’estimer les dommages liés aux pollutions dans la région. Impossible en effet de connaître le nombre de bassins qui ont débordé ou été détruits, ni dans combien de puits Total a enfoui ses eaux de production. Quant aux statistiques sur les cancers, elles s’avèrent peu précises dans le pays.

Enfin, un éventuel procès pourrait avoir lieu. Un dossier de la part des autorités yéménites contre Total existe et plusieurs avocats ont contacté le journaliste français et émis le souhait de représenter les victimes pour attaquer le groupe en France.

Sujet radio: Blandine Levite

Adaptation web: Tristan Hertig