Un vaccin bien embarrassant — Genève Vision, un nouveau point de vue

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La proposition russe suscite le malaise en Europe, c’est certain. Emmanuel Macron et Angela Merkel disent : pourquoi pas ? Mais ils ressentent le besoin de préciser que l’acceptation du vaccin russe ne dépend pas d’une décision politique. En le disant haut et fort, ils disent le contraire, comme aurait diagnostiqué le docteur Freud. A savoir que le vaccin russe les embarrasse au plus haut point. Car l’annonce tonitruante intervient alors qu’ils sont en plein exercice de protestation contre l’emprisonnement de Navalny et la répression des autorités envers les manifestants. L’offre russe brouille les messages alors qu’ils réfléchissent à de nouvelles sanctions.

Leur Haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères, Josep Borrell, dans une sorte de mission suicide, s’est rendu à Moscou. Non seulement il n’a pas pu voir Navalny mais il a dû écouter, et subir, en conférence de presse, les accusations de Sergueï Lavrov, le ministre des Affaires étrangères, et, peu après, la Russie annonçait qu’elle avait décidé de renvoyer trois diplomates, leur reprochant d’avoir assisté à des manifestations à Moscou et à Saint-Pétersbourg.

L’heure est aux escarmouches avant-guerrières

L’affaire Navalny est une « mise en scène des Européens », juge Sergueï Lavrov, et « les sanctions sont des mesures de type colonial ». L’épisode fut humiliant pour Borrell, et pour l’Europe. De nouvelles sanctions et l’expulsion de quelques diplomates russes n’effaceront pas l’humiliation. On ne fait pas de bonne politique avec de bons sentiments pour paraphraser Gide.

L’heure est donc aux escarmouches avant-guerrières et pas du tout à la solidarité sanitaire.

C’est que la question que pose le vaccin russe est embarrassante. Accepter le vaccin russe est-il raisonnable venant d’un pays dont on dénonce le non-respect des droits humains et les atteintes à l’état de droit ? Peut-on cataloguer les vaccins en « politiquement acceptables » et « politiquement inconvenants ». Un vaccin ne vaudrait-il rien sans un label démocratique ? La question pourrait se poser aussi pour la Chine.

La réponse n’est pas simple. En période d’urgence, sans doute que non, même si la Russie instrumentalise son offre et la manie comme un contre-feu opportun aux critiques. L’Autriche, la Hongrie y sont très favorables. Ils refusent d’y voir un enjeu géostratégique. D’autres pays voudront sans doute gagner du temps pour se sauver du dilemme. Le vaccin doit franchir plusieurs étapes : obtenir l’homologation à Bruxelles comme tout autre vaccin, puis encore, pouvoir être produit en masse. Il y aura ainsi moins d’urgence dans quelques mois.

La Russie focalise toutes les attentions en ce début d’année. Joe Biden a présenté la semaine dernière les grandes lignes de sa politique étrangère mettant le respect des valeurs au centre de son action diplomatique. Il n’a rien dit sur la Chine qui reste pourtant le grand adversaire stratégique et le souci premier de l’administration. Mais il a réservé ses critiques les plus vives à la Russie, objet de tous les ressentiments.

L’Amérique de Joe Biden présente une sorte de sérénité retrouvée, une confiance en soi, s’installant tranquillement à nouveau dans le débat international, corrigeant ce qui doit l’être, sans précipitation ni agitation vaine, ne craignant personne. Anecdote : Barack Obama, il y a quelques jours, au micro de France Inter, fanfaronnait : « Si des extraterrestres avaient atterri sur la pelouse de la Maison Blanche, je me serais dit : tiens, voyons ce qu’ils veulent… Et je me serais approché ». Obama voulait témoigner ainsi de son aisance au poste de président après plusieurs années de fonction. On pourrait y lire une autre leçon : pour la super-puissance Amérique, seul un ennemi venant d’une autre planète, doté d’armes inconnues et terribles car nées de l’imagination, pourrait se révéler une réelle menace.

Mais personne, ici-bas.

André Crettenand

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