Un sommet sur le climat à Genève? — Genève Vision, un nouveau point de vue

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Il faudrait aller plus loin, selon l’ancien dirigeant de l’OMM Michel Jarraud. À la tête de l’organe des Nations Unies en tant que secrétaire général adjoint depuis 1995, puis secrétaire général de 2004 à 2015, ce dernier a vu le changement climatique passer d’une note de bas de page à être décrit comme l’un des plus grands défis de notre époque par les Nations Unies.

Dans un nouveau rapport publié ce jour, commandé par la Fondation pour Genève, le météorologue français expose un certain nombre de recommandations à suivre par la Genève internationale si elle veut devenir un moteur de l’action climatique.

Une bonne candidate historique

La création de l’OMM après la Seconde Guerre mondiale en 1950 à Genève a marqué le début d’une période d’essor pour l’observation et la modélisation du climat dans laquelle la ville diplomatique a joué un rôle central les années suivantes. Elle a notamment accueilli la première conférence mondiale sur le climat en 1979, suivie de deux autres sommets en 1990 et 2009, et a vu le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) se réunir en 1988.

Aujourd’hui, des dizaines d’organisations basées à Genève contribuent à façonner la politique climatique mondiale. Énumérées dans le rapport, des organisations telles que l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et l’Organisation mondiale de la santé (OMS), où près de 200 États sont représentés, se sont de plus en plus penchées sur le sujet, longtemps considéré comme hors de leur portée.

Des groupes de défense des droits se sont établis à Genève pour promouvoir l’action climatique et les entreprises désireuses d’influencer le débat, et toutes les politiques qui en découlent, ont été regroupées via le Forum économique mondial (WEF) et le Conseil mondial des entreprises pour le développement durable (WBCSD).

Le rapport mentionne un certain nombre d’initiatives récentes qui pourraient apporter des solutions aux défis climatiques, du GESDA (Geneva Science and Diplomacy Anticipator) à l’association Sustainable Finance Geneva.

À lire aussi (en anglais) : Genève internationale, un pôle de gouvernance environnementale?

Michel Jarraud voit cela comme le résultat d’un « cercle vertueux ». « L’écosystème est si riche que lorsque les gens veulent mettre en place une nouvelle initiative, Genève est une bonne candidate. Il y a beaucoup d’institutions et d’experts avec qui interagir », a-t-il déclaré à Geneva Solutions.

Michel JARRAUD

COP et dessins de presse sur le climat

Dans son rapport, Michel Jarraud place la Genève internationale dans le contexte actuel et met en évidence les domaines clés dans lesquels elle peut jouer un rôle de premier plan.

Ramener le sommet sur le climat à la maison. Pour Michel Jarraud, il est évident que Genève devrait accueillir une future COP dans un proche avenir. « La présence de toutes les missions diplomatiques en fait un lieu idéal pour mener des négociations sur des questions difficiles avant la conférence », a-t-il confié. La COP 27 aura lieu en Égypte en novembre et les Émirats arabes unis ont annoncé qu’ils avaient remporté la COP 28 en 2023. Celle-ci n’aurait donc pas lieu au moins avant 2024. La Conseillère fédérale Simmonetta Sommaruga a récemment annoncé que le Conseil examinerait la possibilité de soumissionner pour une future présidence de la COP. Un geste salué par Michel Jarraud.

Il admet que les frais d’hébergement et la capacité hôtelière à Genève auraient été un obstacle par le passé pour organiser un événement qui attire entre 20 et 40 000 participants, mais la pandémie a montré des moyens de contourner le problème, par exemple grâce à la participation hybride.

De toute façon, Genève devra faire face à la hausse de son coût de la vie si elle veut continuer à accueillir un si large éventail d’acteurs et en attirer de nouveaux à l’avenir, surtout à la lumière d’autres pôles potentiels dans les pays du Sud qui déploient une « approche de plus en plus agressive ».

« Nous en avons vu les effets dans un certain nombre de décisions récentes sur l’emplacement de nouvelles institutions liées au changement climatique », indique le rapport. Michel Jarraud recommande en outre la création d’un centre de surveillance à Genève pour assurer le suivi des principales décisions prises lors des conférences annuelles sur le climat.

Décarboniser la santé. En tant que siège de l’OMS, Genève pourrait être le fer de lance de la décarbonisation du secteur de la santé – qui contribue à jusqu’à 5% des émissions de carbone dans le monde et 12% aux États-Unis, souligne Michel Jarraud. Lors du dernier sommet sur le climat à Glasgow, l’OMS a promis d’aider les pays à respecter leurs engagements en matière de climat pour mesurer et décarboniser leurs systèmes de santé.

Des plans pour une transition juste. Cependant, peu à peu, de plus en plus d’entreprises et de banques commencent à délaisser leurs méthodes non durables, les investissements dans les combustibles fossiles ralentissant et les investissements dans les énergies propres augmentant. Alors que la transition verte est ce qui empêchera le monde d’atteindre des niveaux catastrophiques de réchauffement, cela signifie de secouer des secteurs économiques entiers, avec des travailleurs au bas de l’échelle qui en font les frais.

Michel Jarraud considère l’Organisation internationale du travail (OIT), pour sa spécificité à œuvrer avec des représentants des employeurs et des employés, comme un acteur clé pour ouvrir la voie à une transition juste.

Mettre un prix sur le carbone. L’idée d’imposer des taxes sur les émissions de carbone pour inciter les entreprises à réduire leur empreinte écologique flotte sur les discussions sur le climat depuis un certain temps. Les implications économiques de tout cela ont jusqu’à présent empêché de sérieuses discussions de prendre leur envol. Pour Michel Jarraud, l’OMC pourrait mener ces efforts ; qui bénéficieraient également de l’apport des acteurs financiers et commerciaux. L’Union interparlementaire pourrait également jouer un rôle en préparant les représentants du monde entier à adopter les lois fiscales nécessaires.

Pour aller plus loin, Michel Jarraud appelle Genève à devenir la première ville de sa taille à indiquer l’empreinte carbone sur les étiquettes des produits. La suggestion, a-t-il dit, est venue de l’initiative 2050Aujourd’hui (2050Today), un groupe de 60 institutions à Genève qui se sont engagées à mesurer et à réduire leurs émissions de carbone.

« Nous ne pouvons pas continuer indéfiniment à ignorer les coûts du transport, de production et ainsi de suite. « Genève pourrait donner l’exemple », a-t-il déclaré, exhortant les autorités suisses locales à soutenir de telles initiatives et à envoyer un « message fort ».

Dessins de presse pour le climat. À l’image du célèbre dessin de presse de Chappatte pour la paix, Michel Jarraud propose une initiative similaire pour sensibiliser à la menace climatique par l’humour. Il sourit lorsqu’on lui pose des questions au sujet de cette recommandation. Même si ce n’est certainement pas l’initiative la plus transformative, elle sera probablement populaire.

« C’est la première chose que les gens voient quand on ouvre un journal et cela peut être très puissant », a-t-il confié. Le dessin de presse pour la paix illustre déjà de temps à autre les luttes environnementales du monde, comme elle l’a fait la semaine dernière lors de la COP 15 sur la désertification.

[EDITORIAL]#COP15 to fight against #desertification
Our weekly editorial is online on our website https://t.co/vnGzLTEvrg
✏️ @Adenecartoon (France) & #Haderer (Austria)#Cop15Abidjan #ClimateCrisis pic.twitter.com/3KR05BJeK9

— Cartooning for Peace (@CartooningPeace) May 13, 2022

Un potentiel inexploité

Pour Michel Jarraud, Genève est une plaque tournante toujours croissante pour le changement climatique avec un énorme potentiel, bien qu’une grande partie de celui-ci soit inexploité. « De plus en plus d’acteurs sont conscients de la nécessité de contribuer, mais cette contribution est comme un puzzle et les pièces ne s’emboîtent pas toujours comme elles le pourraient », a-t-il déclaré.

Un argument souvent entendu est que ces institutions multilatérales sont tellement gigantesques que les amener à prendre des décisions audacieuses prend beaucoup d’énergie et de temps, les rendant inefficaces. Michel Jarraud conteste le « cliché », qui, selon lui, s’est avéré erroné à plusieurs reprises.

Il souligne le manque de coordination entre les différents acteurs, mais aussi les différences dans la culture du travail. Et constate un fossé particulier entre le système multilatéral et les acteurs privés et les ONG.

Le rapport appelle les organisations multilatérales à renforcer le statut officiel des observateurs. « Les ONG pourraient être mieux entendues dans le système multilatéral », a-t-il dit. À l’inverse, il exhorte les ONG à inclure des experts des grandes organisations dans leurs événements.

« Cela créera un dialogue et, à terme, une confiance accrue, ce qui est essentiel pour la coopération. Vous devez respecter le point de vue des autres, mais avant de le respecter, vous devez le comprendre », a-t-il déclaré.

La guerre et le Covid, un double coup porté à l’action climatique

Compte tenu des deux dernières années, remettre la politique climatique mondiale sur les rails nécessitera du travail. La pandémie de Covid-19 a forcé les rassemblements à passer au numérique et a même parfois interrompu les négociations. Alors que les gens retournaient dans les salles de réunion, la guerre en Ukraine a fait ressurgir les tensions de la Guerre froide.

« Parvenir à des accords politiques est probablement plus difficile aujourd’hui qu’il y a deux ans », a reconnu Michel Jarraud. Mais le météorologue rappelle que la coopération scientifique a survécu à certaines des pires périodes, et que Genève a été au cœur de cela.

« Au plus fort de la Guerre froide dans les années 1960 et 1970, l’OMM a réussi à développer ce qu’on a appelé la Veille météorologique mondiale, pour s’assurer que l’ensemble des organisations échangent toutes les informations essentielles en termes de temps, de climat, et ainsi de suite », a-t-il ajouté.

Michel JARRAUD

Article de Michelle Langrand pour Geneva Solutions, traduit de l’anglais par Katia Staehli