Thierry Wolton: Pékin visera certainement une „hongkongisation” de Taïwan — Genève Vision, un nouveau point de vue

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Invité dans La Matinale, le journaliste et essayiste Thierry Wolton propose une analyse plus large de la stratégie chinoise. « Il y a une chose sûre et certaine: les autorités chinoises et Xi Jinping ont deux objectifs particuliers. Premièrement, à moyen terme, la récupération de Taïwan, et deuxièmement, à plus long terme, la mise en place d’un ordre mondial dans lequel ils seraient dirigeants. »

La présidente de Taïwan Tsai Ing-wen (au centre) avant d’embarquer pour sa tournée sur le continent américain. [Taiwan Presidential Office – AP].

Cartes rebattues par la guerre en Ukraine

Pour le spécialiste des sociétés post-soviétiques, la guerre en Ukraine a quelque peu rebattu les cartes et obligé la Chine à revoir sa stratégie. « La guerre en Ukraine sert les intérêts de Xi Jinping et les gêne à la fois. […] L’intérêt de cette guerre pour la Chine, c’est qu’elle affaiblit l’Occident. Il y a des problèmes d’armement gigantesques. Les Occidentaux, qui avaient tendance à s’endormir ces dernières années, ont été obligés d’approvisionner l’Ukraine, et ils sont à l’os, si j’ose l’expression. Cela affaiblit donc l’Occident et c’est évidemment positif pour la Chine dans le cas où elle voudrait envahir Taïwan. Stratégiquement, ce serait très difficile pour l’Europe et Washington de mener deux guerres de front, de soutenir l’Ukraine et d’entrer en conflit avec Pékin. »

Thierry Wolton, journaliste et essayiste français

A l’inverse, Thierry Wolton observe que l’invasion russe du 24 février 2022 a réveillé les Occidentaux. « Il y a maintenant une alliance très forte entre Washington et l’Europe, les industries d’armement se sont remises en marche. Nous sommes dans une sorte d’économie de guerre, et à terme ça gêne quand même la Chine. Parce que si elle veut récupérer Taïwan, elle va se retrouver avec des Occidentaux qui sont aguerris, ou en tout cas qui se sont réveillés, donc ce sera plus compliqué. »

L’ancien journaliste de Libération, du Point et RFI explique que la Chine observe avec une grande attention cette guerre en Ukraine. « Pékin regarde jusqu’où peut aller la solidarité occidentale, pour savoir comment ils vont réagir s’il y a un conflit autour de Taïwan. Et Pékin s’aperçoit que l’alliance occidentale est assez forte. La preuve, le front est presque gelé en Ukraine. Ca veut dire que Pékin doit tenir compte de cette alliance et de cette force occidentale. »

Élections cruciales pour Taïwan

Thierry Wolton estime que ces éléments devraient pousser Pékin à éviter une confrontation militaire avec Taïwan. « Je pense qu’ils ne chercheront pas à programmer une invasion dans les années à venir – même s’ils n’abandonneront certainement pas l’idée – mais ils viseront sans doute à ‘hongkongiser’ Taïwan. » L’essayiste précise ce qu’il entend par ce terme. « Pékin a peu à peu grignoté Hong Kong, en mettant en place une série de lois sur la justice, la police, ce qui fait que Hong Kong est devenu aujourd’hui en quelque sorte une nouvelle province de Pékin, avec toute l’opposition en prison. »

Xi Jinping devrait essayer de suivre la même stratégie avec Taïwan. « Il va y avoir des élections l’an prochain à Taïwan. La présidente actuelle est farouchement indépendantiste – sans le dire officiellement pour ne pas provoquer la guerre. Mais l’adversaire actuelle de la présidente, c’est le Kuomintang, qui est tout à fait favorable à un rapprochement avec Pékin. Donc à mon avis, le gouvernement chinois va énormément jouer sur ces élections, en mettant de la pression, en répandant des fake news, avec de la corruption, etc, pour essayer de faire en sorte que le Kuomintang sorte vainqueur. Et à ce moment-là, cette ‘hongkongisation’ deviendra très probable. »

Interview radio: David Berger

Version web: Antoine Schaub