Sur l'Ocean Viking, les „superhéros risquent leur vie pour sauver les autres” — Genève Vision, un nouveau point de vue

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Une heure plus tard, le navire-ambulance accoste au port de Bari. A quai, la Croix-Rouge, mais aussi plusieurs agents de la police italienne, attendent les rescapés, alignés sur un banc, silencieux et inquiets, alors que les autorités italiennes ont déclenché l’état d’urgence migratoire.

Les membres de SOS Méditerranée à bord ont eux aussi le visage fermé: « C’est beaucoup d’émotions. Je suis contente qu’ils arrivent enfin en Europe. Mais il y a aussi ce stress de savoir s’ils vont avoir des problèmes. On vit avec eux pendant quelques jours, mais après on leur dit au revoir et on ne connaît pas la suite », rapporte Haya.

Plusieurs jours de détresse en mer

La nuit où les rescapés ont été sauvés, six sauveteurs sont allés les chercher dans une mer avec des creux de trois mètres. Une alerte a été donnée à minuit et demi via Alarm Phone, une ligne téléphonique pour les personnes en détresse en mer gérée par une ONG. Les bateaux semi-rigides de sauvetage ont été mis à l’eau quinze minutes plus tard.

Au large des côtes maltaises, dans les eaux internationales, la visibilité ne dépassait pas les 20 mètres. Puis, au bout de 45 minutes, les secouristes ont aperçu les naufragés sur une « barque en fibre de verre impropre à la navigation », selon SOS Méditerranée. « Ils ont l’air très fatigués, ils ne réagissent pas beaucoup », peut-on entendre dans l’enregistrement du sauvetage.

Une fois à bord de l’Ocean Viking, Caroline, membre de l’équipe médicale de SOS Méditerranée, évalue l’état de santé des rescapés. « Ils sont épuisés, en hypothermie et déshydratés. Cela est dû au temps qu’ils ont passé en mer, entre quatre et cinq jours d’après ce qu’ils nous ont dit », conclut-elle.

Un espoir de protection en Italie

Il faudra 24 heures à Fimo pour retrouver ses esprits, mais surtout la force de raconter son départ depuis Benghazi, en Libye. Originaire du Soudan du Sud, il a pris la route de l’exil il y a trois ans. « Les vagues m’ont surpris. Quand on est parti, le passeur libyen nous a dit que la météo n’allait pas se détériorer. Avant de partir, il nous a juste donné des dattes avec de l’eau », raconte le rescapé.

Fimo tremble encore lorsqu’il se confie. Il a laissé dans son pays sa femme et ses enfants pour rejoindre l’Europe. Pour lui, Amine, le sauveteur qui l’a sorti de son embarcation, est un « superhéros ». « Ce n’est pas facile de risquer sa vie pour sauver les autres. »

« Je me mets à leur place, c’est un grand soulagement de les voir ici au chaud, rassasiés », répond Amine.

Juste avant de descendre de l’Ocean Viking, Paolo et Fimo ont assuré qu’ils resteraient en Italie, dans l’espoir d’y obtenir une protection. Ils pensaient initialement continuer leur route jusqu’en Angleterre, en traversant cette fois la mer du Nord. Mais leur récente expérience au milieu de la Méditerranée les en a aujourd’hui dissuadés.

Reportage radio: Céline Martelet

Adaptation web: iar avec afp

Le gouvernement italien critiqué sur sa gestion migratoire

« Bien que conscientes de la situation, les autorités maritimes n’ont pas secouru les personnes laissées à bord et soumises à la détérioration des conditions météorologiques », a affirmé SOS Méditerranée dans un communiqué, ajoutant que « pendant que l’Ocean Viking procédait à l’évacuation des naufragés, un hélicoptère maltais tournait au-dessus de l’embarcation et un patrouilleur italien était aussi présent sur les lieux, (mais) aucun des deux n’a assisté les équipes de SOS Méditerranée dans les recherches, ni soutenu la coordination ».

L’ONG précise que les autorités italiennes lui ont désigné le port de Bari pour débarquer les personnes secourues, soit à deux jours de navigation.

Début janvier, plusieurs ONG internationales engagées dans des opérations de secours aux migrants en Méditerranée avaient dénoncé la volonté du gouvernement italien d’extrême droite « d’entraver l’assistance aux personnes en détresse ». Elles pointaient les effets croisés d’un décret obligeant les navires à se rendre « sans délai » vers un port italien après chaque sauvetage, et l’assignation habituelle de ports très éloignés, réduisant les capacités d’assistance.

La Méditerranée centrale est la route migratoire la plus dangereuse du monde, selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM). L’agence onusienne estime qu’en 2022, 1417 migrants y ont disparu.