SpaceX: le film fut excellent — Genève Vision, un nouveau point de vue

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La mission comprend pas mal d’expériences scientifiques et de nombreuses études sur l’adaptation des corps en apesanteur, qui feront progresser nos connaissances. Mais les costumes bien coupés, les casques stylés, le blanc sidéral et les écrans tactiles en jetaient bien davantage. Les lourdauds empesés d’autrefois ont cédé la place aux mannequins des maisons de haute couture. L’aventure spatiale est entrée dans une nouvelle phase. Hollywood davantage que Cap Canaveral. Le beau autant que la science.

Ce vol est aussi une nouvelle confirmation du nécessaire partenariat entre le privé et le public pour conquérir l’espace. L’Etat apportant une garantie de risques et les entreprises leur capacité à innover et à avancer vite.

Pas encore régulé, le nouveau monde suscite tous les appétits. Demain, on commercialisera l’espace, on creusera la Lune, on grattera Mars. L’espace s’ouvre aux entrepreneurs. Les scientifiques ont l’esprit ailleurs. Ils lorgnent plus loin vers d’autres planètes déjà.

Un enjeu commercial

SpaceX n’est pas tout seul. Un autre milliardaire du numérique investit les hautes altitudes : Jeff Bezos, le propriétaire d’Amazon, qui a créé sa propre société de fusées, Blue Origin. Il attaque d’ailleurs la récente décision de la NASA de confier à Elon Musk aussi le transport de ses astronautes sur la Lune en 2024.

L’espace a toujours été un enjeu stratégique. Qui vit la Russie triompher grâce au vol de Gagarine et l’Amérique de Kennedy répliquer par la marche sur la Lune. Il est désormais aussi un enjeu commercial.

Il n’est pas trop tôt pour se poser la question du statut du sidéral et du rôle que les Etats souhaitent y jouer. En pariant sur un financement privé pour accélérer leur conquête, ils ont accepté de fait que leurs partenaires puissent bénéficier de retours sur investissement. Quels seront-ils ? De quels droits d’exploitation disposeront-ils ? Pourront-ils privatiser une partie du ciel, de la Lune ? Le tourisme de l’apesanteur sera-t-il réservé à quelques privilégiés fortunés ? Qui nettoiera le ciel des déchets inévitables ? Quels accords internationaux ?

L’espace, bien commun ?

En fait, il existe un Traité de l’Espace, conclu en 1967, qui décrète l’espace « bien commun ». Mais il ne fait plus référence. Les Etats-Unis ont rédigé, en 2015, leur propre « Space Act » qui s’énonce très simplement : tout ce que vous pouvez attraper ou récolter dans le ciel est à vous ! D’autres Etats partagent la même philosophie. Le Luxembourg, par exemple, accorde des permis d’extraction et d’exploitation des minerais célestes. La privatisation de l’espace est bien enclenchée.

Les historiens nous rappellent à propos que Christophe Colomb n’agissait pas autrement. Il était en mission pour le roi d’Espagne, qui lui accordait en retour un bon pourcentage des richesses qu’il rapportait de ses expéditions.

La mission dans l’espace reste une aventure fascinante. Mais déjà se posent ces questions pragmatiques, très « terre à terre ». Osons-les, sans esprit chagrin.

Le film, lui, fut excellent.

André Crettenand