Sanctions contre la Russie: la neutralité mise à mal? — Genève Vision, un nouveau point de vue

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L’ancienne Présidente de la Confédération reconnait cependant : « Nous sommes dans le cadre de la neutralité qui a évolué. Le concept de neutralité est axé sur le respect du droit international et du droit international humanitaire.  Dans la guerre entre la Fédération de Russie et l’Ukraine, il y a eu une violation de l’intégrité territoriale d’un pays européen, une violation du droit international et du droit international humanitaire. Si elle ne défend pas cette conception, si elle ne sanctionne pas les violations du droit international, la Suisse n’est plus crédible. Elle serait partisane et non plus neutre. Et l’opinion publique suisse est d’avis que l’on ne peut pas accepter ce qui se passe ».

Pour Éric Hoesli, journaliste, éditeur et auteur d’ouvrages de référence sur la Russie, les sanctions suisses s’imposaient. « En termes de politique de neutralité, nous sommes à un moment charnière. Cette politique de neutralité est soumise à révision. Faite en fonction de l’opinion intérieure, elle est aujourd’hui mobilisée derrière la cause ukrainienne et des pressions extérieures ».

Le rapport de la Suisse avec l’UE est devenu vital

Le rapport de la Suisse avec l’Union européenne est devenu vital. « Nous n’avons plus la marge de manœuvre que nous pouvions avoir par le passé. notre politique ne peut pas se faire contre les intérêts importants de l’Union européenne ». Selon Éric Hoesli, le choix était clair : dans quel camp sommes-nous ?

La Suisse se retrouve sur la liste russe des pays jugés hostiles. « Je ne crois pas que cela va, à court terme, menacer les bons offices et le rôle d’intermédiaire que la Suisse joue avec la Géorgie par exemple ». Mais qu’en sera-t-il des effets à moyen-terme, concernant notamment le souhait de la Suisse d’être élue au Conseil de sécurité de l’ONU ? « Nous sommes un pays occidental. Nous allons prendre la place d’un pays occidental et non pas la place d’un pays considéré comme totalement neutre », estime Éric Hoesli.

Intervenant depuis Budapest où il est en reportage, Richard Werly, correspondant du journal Le Temps à Paris et à Bruxelles, spécialiste des rapports Suisse-Europe, est explicite : « Tous les diplomates que j’ai vus m’ont dit que la situation de la Suisse n’était pas tenable ». Si elle n’avait pas suivi l’Union européenne, cela aurait voulu dire que la Suisse était partie prenante, donc associée à la Russie, explique-t-il. « L’Union européenne l’aurait considérée comme complice de facto de l’agression russe ou en tout cas du système russe qui a conduit à l’agression contre l’Ukraine ».

« Avec la décision d’appliquer les sanctions, la Suisse a démontré à l’Union européenne qu’elle est un partenaire autonome et que, si elle peut diverger sur certains sujets, elle est fiable. Ce qui est essentiel quand on est entouré par les voisins que nous avons », souligne-t-il.

Berne a ainsi estimé que l’intérêt supérieur de la Confédération et du peuple suisse est de coopérer avec l’Union européenne. « C’est un choix que nous devons assumer. La Suisse reste une place qui peut abriter une médiation, mais je ne crois pas qu’aujourd’hui elle puisse être le médiateur. Car ce qu’il faut, c’est une discussion et une négociation directe entre les parties prenantes, l’Ukraine et la Russie », dit Richard Werly.

Les milieux économiques suisses ont suivi la décision prise par les dirigeants helvétiques. De l’avis de Paul Dembinski, directeur de l’Observatoire de la finance et professeur à l’Université de Fribourg, « la communauté économique suisse mise sur la fiabilité, malgré les tentations de faire des coups. Les institutions financières ont une réputation à défendre ». Selon lui, ce qui pose un problème pratique, juridique et d’identification ce sont les clients binationaux. « C’est un montage qu’une banque ne peut pas facilement démonter, même si elle prend des précautions. Et cette réalité est assez importante ».

Accepter le prix à payer

Le peuple suisse est-il prêt à subir les conséquences des décisions économiques contre la Russie après la décision prise par la Confédération de suivre les Etats-Unis et les membres de l’Union européenne ? « L’appel que nous avons lancé il y a une dizaine de jours portait non pas sur le renforcement des sanctions mais sur le fait de dire : Nous citoyens sommes capables, en quelque sorte, d’assumer une partie de la douleur », estime Paul Dembinski.

Selon ses dires, « il faut donner les coudées franches aux gouvernements pour qu’ils serrent la vis si c’est opportun, sans nécessairement se préoccuper trop de l’opinion publique. Baisser la température dans les appartements d’un ou deux degrés est sans doute supportables pour la population ».

La loyauté économique envers les partenaires occidentaux est à ce prix, déclare-t-il. La liste des pays hostiles établie par le président russe comporte « une partie de réalité économique et une partie de gesticulation. C’est le prix à payer si on ne veut pas figurer sur la liste des pays amis de la Russie, aux côtés de la Chine ! » conclut-il.

Luisa Ballin