Reconnaître l’eau comme un outil puissant pour la paix est crucial pour notre avenir — Genève Vision, un nouveau point de vue

0

En raison de l’évolution démographique et du passage à des modes de consommation plus intensifs en eau, l’utilisation mondiale de l’eau a quadruplé au cours du dernier siècle, ce qui a entraîné une augmentation de la pollution, de la concurrence et des tensions autour des utilisations compétitives de cette ressource.

De plus, comme le rappelle le récent rapport du GIEC publié en 2021, le réchauffement planétaire entraînera des sécheresses et des inondations plus fréquentes et plus graves.

La sécurité de l’eau est définie par ONU-Eau comme la «capacité d’une population à garantir un accès durable à des quantités d’eau suffisantes et de qualité convenable» pour nos moyens de subsistance, pour une stabilité économique et politique, et pour la santé de notre planète.

Malheureusement, ceci ne peut plus être considéré comme acquis pour une portion croissante de l’humanité. Dans les faits, on s’attend de plus en plus à ce que la concurrence et l’incertitude entourant l’accès à l’eau deviennent une source de tensions ou, dans le pire des cas, de conflits.

Mais l’eau peut aussi être un puissant vecteur de paix et de coopération. Les bassins fluviaux situés à l’intérieur et au-delà des frontières nationales offrent un espace socio-écologique au sein duquel les parties prenantes peuvent dialoguer, s’entendre sur leur gestion et définir des arrangements institutionnels permettant de maximiser les bénéfices tirés des ressources en eau.

Nous l’avons constaté dans diverses régions du monde. On peut citer à titre d’exemple la gestion du fleuve Sénégal et le partage des bénéfices entre ses quatre pays-hôtes, ou plus près de chez nous, la gestion du Rhin et son processus décisionnel consensuel.

C’est avec cette vision de l’eau comme instrument de paix et de coopération que le Geneva Water Hub a été créé en 2015, avec le soutien du gouvernement suisse et de l’Université de Genève.

Cette même année, le Panel mondial de haut niveau sur l’eau et la paix a été lancé par 15 pays, réunis dans le but d’étudier le lien entre l’eau, la paix et la sécurité, le Geneva Water Hub lui servant de secrétariat.

Les travaux du groupe d’experts ont amorcé plusieurs jalons-clés. Grâce à l’initiative du Sénégal, à la vice-présidence du Panel mondial de haut niveau sur l’eau et la paix, le Conseil de sécurité des Nations Unies a organisé sa toute première discussion sur l’eau, la paix et la sécurité en novembre 2016.

Cette session a ouvert une nouvelle voie pour l’approche de l’ONU sur l’eau, la sécurité de l’eau n’étant jusque-là pas encore un thème reconnu par le Conseil de sécurité des Nations Unies, à la tête des politiques du programme de paix et de sécurité. En septembre 2017, le groupe d’experts a publié son rapport intitulé « Une question de survie », qui présentait des recommandations stratégiques pour prévenir les conflits liés à l’eau et développer de nouvelles formes d’hydro-diplomatie. Ce rapport, présenté à l’Assemblée générale des Nations Unies en 2017, appelle à un nouveau cadre institutionnel pour répondre aux défis de l’eau de ce siècle.

Ces événements ont marqué deux grands tournants. L’eau a dès lors joué un rôle de plus en plus important et stratégique pour faire le lien entre les trois programmes de l’ONU : développement durable, paix et sécurité, et action humanitaire. A l’heure où l’ONU cherche à renforcer les synergies entre ses trois agendas, la coopération dans le domaine de l’eau doit être considérée comme un levier majeur pour atteindre cet objectif.

Pour relever les défis liés à l’eau, à la paix et à la sécurité, il est nécessaire de travailler à de multiples niveaux et avec un large éventail d’intervenants. Les médias ont un rôle crucial à jouer pour inscrire ce sujet à l’ordre du jour, contribuer à mettre en lumière les problématiques à diverses échelles, et pour faire le lien entre les différentes communautés et leurs pratiques.

Pour toutes ces raisons, le Geneva Water Hub est ravi de l’opportunité qui lui est offerte de collaborer avec Geneva Solutions pour produire cette série d’articles sur la sécurité de l’eau. Grâce à ce partenariat, nous sommes heureux de nouer de nouveaux liens avec les acteurs de la Genève internationale, qui jouent un rôle majeur dans l’élaboration des politiques au niveau mondial.

A la lecture de cette série, le lecteur apprendra qu’aucune discussion pertinente sur notre avenir commun ne peut négliger la question de l’eau. Les défis liés à l’eau nous forcent à ne plus réfléchir en «silos», à remettre en question l’impact de l’éclatement institutionnel, à adhérer à des vues globales, et à innover en ce sens. Cela requiert d’avoir une nouvelle vision de nos sociétés où la gestion et la gouvernance de l’eau sont un pilier central.

A travers les articles publiés par Geneva Solutions, nous invitons le lecteur à plonger dans la complexité et la diversité qui caractérisent les défis du partage et de la distribution de l’eau. Aborder la dimension de sécurité de l’eau implique de multiples perspectives et points d’entrée.

Grâce aux différentes contributions, vous en apprendrez davantage sur les défis essentiels actuels et futurs du secteur, tels que le partage de l’eau entre les secteurs économiques tout en garantissant le respect des droits de l’homme pour tous ; le partage du pouvoir décisionnel entre les hommes et les femmes ; le partage de l’eau entre diverses entités politiques pour assurer stabilité et cohésion sur le long terme ; le maintien de la dignité humaine et la protection des infrastructures essentielles d’eau dans le contexte de conflits armés ; l’utilisation de l’eau comme moteur de la paix par le biais d’un dialogue politique communautaire inclusif ; la définition du rôle potentiel de la finance au service de la gouvernance de l’eau dans l’intérêt de tous ; et un questionnement sur le fardeau écologique que nos habitudes de consommation et de pollution intensives en eau imposera aux prochaines générations.

Le plein potentiel de l’eau comme instrument de paix et de coopération reste inexploité. Le 9e Forum Mondial de l’Eau, organisé à Dakar en mars 2022, sera un événement mondial déterminant pour prendre des mesures importantes dans cette direction. Nous sommes impatients d’engager le dialogue avec vous tous pour exploiter le potentiel et les opportunités de l’eau en tant qu’instrument de paix et de coopération.

Article de Christian Bréthaut pour Geneva Solutions, traduit de l’anglais par Katia Staehli