Qui donnera son nom à l'univers? — Genève Vision, un nouveau point de vue

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Ce qui se passe est tout simplement extraordinaire. Nous avons tendance à n’y voir que la dispute garçonne de deux égos. Mais il s’agit d’une compétition que l’humanité a déjà connue il y a quelques siècles. Bien sûr, la bataille a lieu loin du plancher des vaches, elle mobilise des moyens autrement sophistiqués. Mais Christophe Colomb affrontant l’immensité de l’océan était-il moins audacieux, moins téméraire, moins présomptueux que nos milliardaires se lançant à la conquête de l’immensité galactique ?

La conquête de l’espace était le terrain réservé des Etats. Elle leur apportait le prestige qu’ils escomptaient. Ils multipliaient les exploits pour authentifier leur savoir-faire et justifier de leur supériorité non seulement technologique, mais aussi idéologique. Moscou envoyait en l’air Youri Gagarine pour prouver la supériorité des idées collectivistes. Kennedy répliquait en posant Neil Armstrong sur la Lune et témoignait de la puissance du libéralisme. L’Union soviétique gagnait d’abord. L’Amérique triomphait ensuite. Hollywood et Coca-Cola se sont imposés au monde.

Un petit pas pour l’homme, un grand pas pour l’humanité. Branson et Bezos n’ont pas concocté de petites phrases. Les temps ne sont plus au verbe. La parole n’est plus si opérante. Elle ne signe plus l’exploit. Une vue de haut, une vidéo en apesanteur vaut toutes les déclarations. Pesquet, la nouvelle star, fait de la photo, pas des bons mots.

Quel est le modèle que nous privilégions ? Voulons-nous saluer le triomphe de Huawei et d’Uniqlo ? De Tesla et de Virgin ? Faut-il peiner sur Terre pour que des héros s’éclatent dans le ciel ? L’exploit spatial vaut-il reconnaissance ? Attention, admirer n’est pas anodin.

Les Etats n’ont pas encore réussi à imposer leur suprématie sur les terres de l’au-delà. Pas de colonisation étatique. Pas d’empire à constituer. Pas de peuples à soumettre, pour l’instant.  Des terres, des richesses, peut-être. Seules quelques fusées sont capables d’approcher les planètes lointaines, comme autrefois seules les caravelles pouvaient espérer rallier l’Inde et l’Amérique. Nos cartes spatiales sont-elles plus précises ? Nous avons le sentiment que nous maîtrisons le savoir, la géographie, la technologie. Il n’en est rien. Ce monde-là nous est étranger. Dans quelques décennies, nous nous étonnerons de notre naïveté. Mais pour l’instant, nous sommes contraints à modestie.

Donner son nom à l’univers est le nouvel horizon. Lui donner un nom, c’est le posséder un peu. Le défi le plus important pour les milliardaires découvreurs. Nous ne les aimons pas trop, nous n’aimons pas comment ils ont fait fortune, nous n’aimons pas leur arrogance, leurs succès, leur génie, nous n’aimons pas comment ils régissent notre monde. Les générations futures les salueront peut-être autrement.

Au fond, n’est-ce pas la seule chose qu’ils espèrent ? Exister au-delà des siècles et des siècles.

André Crettenand