Fin juin, la conseillère fédérale Simonetta Sommaruga se rendait en Californie. A vrai dire, pas tout à fait. Elle ne passait pas 12 heures dans l’avion, elle n’abandonnait pas le Conseil fédéral, elle ne quittait pas son bureau à Berne. Une visite virtuelle, étonnante, jamais tentée jusque-là. L’expérience aura nécessité quatre mois de préparation. Et permis de dessiner des pistes inspirantes et innovantes pour l’avenir des échanges diplomatiques. Ravie, Simonetta Sommaruga avait aimé la «téléportation».
Le virtuel va-t-il s’imposer de plus en plus au détriment des réunions physiques comme la pandémie nous y a contraints? Genève, ce haut-lieu des rencontres et des négociations rapprochées gardera-t-elle sa place privilégiée à l’heure du distanciel ? A-t-elle les outils numériques pour répondre aux nouvelles configurations de ce multilatéralisme hybride? La thématique était au cœur d’une table ronde organisée par le pôle international de la RTS Genève Vision et le Club diplomatique de Genève jeudi 25 novembre.
Débat à la salle Soutter de la RTS: les effets de la pandémie et du virtuel sur la diplomatie.
Pour Michael Møller, président du Forum diplomatique de la fondation GESDA (Geneva Science et Diplomacy Anticipator), dans un monde difficile, comme celui dans lequel on vit aujourd’hui, il est absolument indispensable d’avoir un endroit neutre où l’on puisse discuter, échanger, négocier. « Et Genève va garder sa place, assure celui qui fut de nombreuses années directeur général de l’ONU Genève, on ne peut pas tout faire par Zoom ». Michael Mølller en est convaincu.
Mais il est conscient aussi qu’il va falloir investir dans les nouvelles technologies pour affronter un futur qui arrive à grande vitesse et où l’intelligence artificielle, le quantique, les robots vont jouer un rôle crucial. Et d’ajouter poétiquement «La Genève Internationale, c’est une plante qu’il faut arroser tous les jours!»
Yannick Roulin, ambassadeur et représentant permanent adjoint de la Suisse auprès de l’ONUG, chef de la Division État hôte, note que la pandémie a été un accélérateur du changement. Pour autant, «le présentiel n’est pas mort». Genève doit rester le principal centre de compétence du multilatéralisme, même si elle n’accueillera peut-être plus dans le futur plusieurs milliers de réunions chaque année.
Le virtuel va prendre de plus en plus de place, c’est certain, et Yannick Roulin y voit même l’opportunité d’y associer davantage la société civile aux processus, d’être plus inclusif, ce qui est d’ailleurs une demande croissante de la société. «Mais il va falloir investir autant dans les technologies que dans les murs, et être en mesure d’offrir des infrastructures performantes».
Mais se réinventer exige aussi de gros efforts en matière de formation, comme l’a souligné Marie-Laure Salles, directrice du Graduate Institute Geneva. «Il reste des chorégraphies qui ne peuvent avoir lieu qu’en présentiel», dit-elle. Mais les moments de rencontres et de discussions n’en seront que plus précieux. Il faut réfléchir à les organiser différemment, à les valoriser le plus possible.
La mission de l’Institut est aussi de former des futurs managers et diplomates qui ont une vraie connaissance des enjeux que pose la technologie et qui seront en mesure de constamment apprendre et d’anticiper l’avenir. «Surtout, le plus grand défi pour la Genève internationale est d’ordre géopolitique, dit-elle, ce sont les grands mouvements tectoniques, la fin du siècle américain comme on dit aussi.»
Pour Niniane Paeffgen, directrice de la Swiss Digital Initiative «Il s’agit de former, c’est capital en effet», mais aussi de se poser les bonnes questions sur notre société, notamment sur le plan éthique. Quelle société veut-on pour demain? Où sont nos limites? Le futur est hybride et d’autant plus interconnecté. Niniane Paeffgen fait allusion à métavers, le monde virtuel que Mark Zuckerberg va créer, et où agiront nos avatars.
Ce qui se passe déjà sur les plateformes de jeux vidéo nous donne un avant-goût de ce monde parallèle. «Le positionnement de la Genève internationale est unique au monde, mais il faut veiller à ce que cela reste ainsi. Le monde est en train de changer et il faut anticiper le futur et voir comment se positionner vis-à-vis de ces tendances. Le virtuel ne remplacera jamais le physique, sans doute, mais il y a quand même une tendance très forte vers le métavers.»
Benedikt Wechsler, ambassadeur, chef de la Division Numérisation au Département fédéral des affaires étrangères, a organisé avec ses équipes cette visite virtuelle de Simonetta Sommaruga. Avant de renouveler l’expérience, il rédige un «mode d’emploi du voyage diplomatique virtuel». Le voyage a demandé 4 mois de préparation. Ce n’est pas une simple vidéo-conférence. Elle a mobilisé des moyens importants, un drône, un réalisateur. Elle devait immerger la conseillère fédérale dans un univers distant tout en lui assurant des informations en temps réel, voire des émotions.
«Lovely diplomacy», disait une vigneronne suisse installée en Californie, toute heureuse d’avoir «reçu» une ministre suisse en virtuel.
Katia Staehli