Que peut-on attendre de la rencontre entre la Russie et les USA à Genève? — Genève Vision, un nouveau point de vue

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Les tensions sur l’Ukraine sont au cœur d’un nouveau déclin des relations houleuses entre la Russie et l’OTAN (l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord).

La pression militaire actuelle et la menace d’invasion sont l’occasion pour Vladmir Poutine de revoir une longue liste de questions de sécurité, source de préoccupations non résolues pour la Russie depuis la dissolution de l’Union soviétique – et depuis 1997, lorsque les premiers pays ont été invités à rejoindre l’alliance de l’OTAN.

Au sommet de sa liste de griefs se trouve son opposition à l’activité de l’OTAN dans l’Est, y inclus les allégations selon lesquelles l’alliance a fourni des armes à l’Ukraine.

En décembre, le ministère russe des Affaires étrangères a ouvertement publié ses requêtes sous la forme de deux projets de traités: l’un avec l’OTAN, et l’autre avec les États-Unis. Il s’agit notamment de l’interdiction pour les ex-États soviétiques tels que l’Ukraine et la Géorgie d’entrer dans l’OTAN, ce qui, selon lui, marquerait le franchissement d’une ligne rouge.

La Russie a également demandé à l’OTAN de s’engager à ne pas déployer certains systèmes d’armement dans les États proches de la Russie et à limiter les manœuvres et les exercices militaires près de ses frontières, ce qui ramènerait l’alliance à la situation dans laquelle elle se trouvait avant son expansion vers l’Est en 1997.

«L’objectif général est de mettre un terme à l’élargissement futur de l’OTAN et à la demande des États-Unis de souscrire à cet engagement», a déclaré Jussi Hanhimaki, professeur d’histoire internationale au Graduate Institute Geneva.

«Ce n’est pas nouveau, mais les dirigeants russes l’ont déclaré plus ouvertement que par le passé», a-t-il confié à Geneva Solutions.

Bon nombre de ces demandes risquent d’être rejetées par les pays de l’OTAN. Un haut responsable de la Maison-Blanche, cité par Axios, a déclaré à des journalistes le mois dernier que «pour certains points de ces documents, les Russes sont conscients qu’ils sont inacceptables ». L’adhésion de l’Ukraine, même si elle ne figure pas immédiatement à l’ordre du jour, ne peut pas faire l’objet d’un veto de la part d’un pays comme la Russie.

Cependant, en présentant une liste de revendications, la Russie peut espérer des accords partiels sur certains aspects qui seront présentés comme des victoires à domicile, a précisé Jussi Hanhimaki, spécialiste de la politique étrangère américaine et de l’histoire de la guerre froide.

«Nous allons assister à la poursuite de cette guerre des nerfs, et la Russie va jouer sur ce mythe de longue date qui veut que, à la suite de l’effondrement de l’Union soviétique, les États-Unis et leurs alliés se soient en quelque sorte engagés à ne pas élargir l’OTAN», a-t-il ajouté.

Ces tactiques aux enjeux importants pourraient se retourner contre la Russie

En fin de compte, toutefois, cette stratégie de forte pression pourrait s’avérer contre-productive pour la Russie et entraîner des sanctions plus sévères, la fin des futures négociations sur les exigences de sécurité, et un renforcement plutôt qu’un affaiblissement de l’OTAN, si la Russie décidait d’envahir l’Ukraine, ce qu’elle a nié planifier.

«La Russie est à la limite du type de politique de la corde raide dont on peut user, et la réaction n’a en aucun cas été une sorte d’acceptation docile», a déclaré Jussi Hanhimaki.

«La seule réaction a été que l’OTAN a resserré ses rangs et établi un front beaucoup plus uni qu’elle ne l’a fait au cours des 20 à 30 dernières années. Elle a même incité des pays qui sont actuellement neutres à envisager une éventuelle future adhésion à l’OTAN.»

Alors que ni la Suède ni la Finlande ne cherchent actuellement à devenir membres de l’OTAN et ne s’alignent pas, les deux pays ont récemment souligné qu’ils se réservent le droit d’y adhérer et de faire leurs propres choix en matière de politique de sécurité.

Que peut-on attendre de la rencontre à Genève?

Le retrait des troupes russes à la frontière avec l’Ukraine dépendra des mesures pour renforcer la confiance, de compromis, voire d’accords de sécurité partiels, qui émergeront des pourparlers diplomatiques des semaines à venir.

Des discussions bilatérales auront lieu les 9 et 10 janvier à Genève entre la Secrétaire d’État adjointe américaine Wendy Sherman et le vice-ministre russe des Affaires étrangères Sergey Ryabkov.

Cette rencontre fait suite à deux premiers rounds de «dialogues sur la stabilité stratégique» entre diplomates sur une série de questions, y compris le contrôle de l’armement, qui se sont déroulés en juillet et septembre, après le sommet Biden-Poutine de juin.

Les États-Unis ont confirmé jeudi dans une déclaration que Wendy Sherman sera accompagnée par des représentants de ses départements d’État et de la défense.

La rencontre sera suivie de discussions avec l’OTAN à Bruxelles le 12 janvier, et d’une troisième série de réunions le 13 janvier, à Vienne, avec l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE), en présence des alliés de l’OTAN, de la Russie, de l’Ukraine et d’autres anciens États soviétiques. Entre-temps, d’autres discussions ont lieu cette semaine, et l’OTAN a organisé vendredi 7 janvier une réunion extraordinaire des ministres des Affaires étrangères.

Les espoirs de voir les pourparlers de dimanche déboucher sur des résultats concrets immédiats sont minces, mais un engagement à poursuivre sur la voie diplomatique serait considéré comme une étape positive, a déclaré Jussi Hanhimaki.

«Le scénario le plus probable est qu’ils ne parviendront pas à un véritable accord… Mais ils arriveront probablement à identifier certains des domaines à discuter, qu’il s’agisse des armes nucléaires ou autre. Il est dans l’intérêt des deux parties de poursuivre ces pourparlers.»

Certains sujets seront plus faciles à aborder. «Dans le projet de traité, la Russie a déclaré qu’elle ne voulait pas que certains types d’armes américaines soient déployées dans des États proches de la Russie ou de l’Ukraine. Et la plupart de ces armes n’ont pas été déployées là-bas. On peut donc parler de ce genre de problèmes» a expliqué Angela Stent, conseillère principale au Center for Eurasian, Russian and East European Studies de l’Université de Georgetown, aux États-Unis.

La question d’un éventuel moratoire sur l’élargissement de l’OTAN ou de l’adhésion de l’Ukraine pourrait également être abordée, a-t-elle ajouté. «Personne ne dira catégoriquement que l’Ukraine ne se joindra jamais à l’OTAN, ou que l’OTAN ne s’agrandira plus jamais, car la Russie n’a pas le droit de dire à l’OTAN ce qu’elle peut ou ne peut pas faire. Mais une sorte de compromis pourrait être trouvé, avec pour conséquence le retrait provisoire de ces questions de la table des négociations.»

Une autre question primordiale sera de savoir dans quelle mesure les États-Unis insisteront pour une désescalade militaire à la frontière avec l’Ukraine, avant que les négociations ne se poursuivent. Le renseignement américain a estimé le nombre de troupes à environ 100’000 militaires.

Le Secrétaire d’État américain Antony Blinken a souligné mercredi qu’il y avait deux voies à suivre: celle de la «diplomatie et de la désescalade», ou celle de fortes conséquences en cas de nouvelle agression contre l’Ukraine.

«À l’heure de débuter les négociations, je pense qu’il faudrait une sorte d’engagement de retrait d’une partie des troupes et de leur équipement de la frontière», a ajouté Angela Stent, ex-membre du comité consultatif supérieur du Commandant suprême allié de l’OTAN en Europe.

Un autre résultat plus immédiat attendu sera de savoir si les deux pays parviendront d’ici lundi à un ordre du jour commun pour la prochaine série de discussions. Cela pourrait inclure une série de groupes de travail qui se concentreraient sur certaines questions.

«S’ils sont incapables de s’entendre sur quelque question extrêmement préoccupante. Mais j’ai l’impression que les Russes ont compris qu’ils n’obtiendront pas tout ce qu’ils ont demandé, mais souhaitent quand même que l’Occident fasse des concessions et comprenne leur point de vue.»

À long terme, toutefois, les tensions profondes seront plus difficiles à résoudre, a conclu Jussi Hanhimaki. «Bien qu’il n’existe pas de solution ultime ou de résolution acceptable pour tous – les Ukrainiens, les Russes, les États-Unis et l’OTAN – quelque chose doit changer en Russie ou ailleurs avant que nous puissions envisager une véritable solution diplomatique acceptable pour toutes les parties.»

Article de Kasmira Jefford pour Geneva Solutions, traduit de l’anglais par Katia Staehli