Que peut-on attendre de la Croix-Rouge en Ukraine? — Genève Vision, un nouveau point de vue

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Ces attaques comprennent de fausses allégations selon lesquelles le CICR participerait à des évacuations forcées de réfugiés ukrainiens vers la Russie, et qu’il serait en négociations pour l’ouverture d’un camp de réfugiés dans le sud de la Russie.

L’organisation humanitaire basée à Genève ne précise pas qui se cache derrière ces attaques, mais indique que ces fausses informations ont été diffusées principalement sur les réseaux sociaux.

«Ce n’est pas la première fois qu’on observe les ravages de la désinformation sur les réseaux sociaux. Mais dans ce cas précis, l’amplitude est totalement inégalée à ce jour. [Il est] donc très inquiétant de voir que le CICR est instrumentalisé» a déclaré Robert Mardini, directeur général du CICR, au téléjournal de la RTS.

Avoir accès aux victimes de guerre pour pouvoir leur venir en aide est la priorité absolue du CICR. Il est donc essentiel que l’organisation soit perçue comme neutre.

«Le niveau de politisation de notre travail met en péril notre capacité à fournir une aide désespérément nécessaire. Des vies sont en danger», a encore déclaré le CICR.

Les fausses informations circulant sur le web au sujet du CICR semblent découler en partie de questionnements sur son dialogue avec les autorités russes et d’une méconnaissance de ce que fait l’organisation, et de ce qu’elle peut et ne peut pas faire. Rétablissons les faits.

Voir l’interview de Robert Mardini au 19h30 de la RTS (28 mars 2022)

Pourquoi le CICR rencontre-t-il de hauts responsables russes?

De nombreuses personnes se sont emparées des réseaux sociaux pour exprimer leur indignation face aux photos de Peter Maurer, président du CICR, et de Sergueï Lavrov, ministre russe des Affaires étrangères, se serrant la main et souriant à Moscou. Certaines personnes sont allées jusqu’à interpréter le dialogue du CICR avec Moscou comme une légitimation de l’invasion russe de l’Ukraine.

Mais le CICR est une organisation humanitaire neutre et impartiale. Son mandat, en vertu du droit international humanitaire (DIH), est de s’adresser à toutes les parties belligérantes pour les exhorter à respecter les règles de la guerre, et de veiller à ce que les délégués du CICR puissent accéder en toute sécurité aux personnes en détresse.

«Il y a toujours des sourires diplomatiques, mais cela ne signifie pas que le dialogue n’est pas robuste et exigeant, par rapport aux obligations des parties au conflit», a déclaré Robert Mardini à la RTS.

Une semaine avant sa rencontre avec Sergeï Lavrov, le président du CICR s’était également rendu à Kiev pour s’entretenir avec les autorités ukrainiennes.

Cette photo de Peter Maurer (à gauche), président du CICR, et de Sergei Lavrov (à droite), ministre russe des Affaires étrangères, se serrant la main et souriant à Moscou a suscité des réactions de colère sur les réseaux sociaux. Mais le CICR a pour mandat, en tant qu’organisation humanitaire neutre et impartiale, de parler aux deux parties. Keystone / Kirill Kudryavtsev / Pool

Pourquoi le CICR ne condamne-t-il pas l’invasion de l’Ukraine par la Russie?

Certaines personnes – dont de nombreuses victimes de la guerre en Ukraine – sont déçues par le refus du CICR de condamner l’invasion russe de l’Ukraine ou même de parler de guerre (le CICR préfère le terme de conflit).

Après tout, le CICR ne devrait-il pas, en tant que gardien des Conventions de Genève, dénoncer les violations du DIH, par exemple les attaques indiscriminées telles que le bombardement de zones peuplées?

Même Karim Khan, le procureur de la Cour pénale internationale (CPI), a déclaré qu’il y avait «une base raisonnable pour croire que des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité ont été commis en Ukraine». La CPI a ouvert une enquête sur la situation en Ukraine.

Mais les grandes déclarations publiques ne font pas partie du travail du CICR. Les ONG de défense des droits humains sont là pour le faire.

La priorité pour le CICR est d’obtenir un accès sûr aux endroits où l’aide est nécessaire, et ce des deux côtés. Cela inclut les prisons, où l’organisation genevoise va à la rencontre des prisonniers de guerre et d’autres détenus. Dans le cadre de son travail humanitaire, le personnel du CICR peut prendre connaissance d’informations très sensibles que les gouvernements préfèrent garder secrètes. Si le CICR n’est pas digne de confiance, tout accès lui sera refusé.

Le CICR affirme qu’il peut mieux protéger les victimes si son dialogue avec les parties au conflit est confidentiel. Si cette approche échoue complètement, le CICR peut alors éventuellement commenter publiquement une situation, mais il évitera de faire des condamnations unilatérales.

En avril 1994, peu après le début du génocide au Rwanda, le CICR a publiquement appelé les parties à mettre fin au «carnage», au «massacre» et à la «tragédie humaine», mais s’est abstenu d’utiliser le terme génocide pour la sécurité de son personnel.

Abordant la situation à Marioupol, Robert Mardini a déclaré à la RTS que «la situation est insoutenable, les combats continuent […]. Il y a quelques semaines, on disait déjà que c’était inacceptable, insoutenable pour les civils. C’est toujours le cas aujourd’hui et il n’y a ni évacuations sécurisées des civils, ni une aide humanitaire qui peut entrer à Marioupol. Donc la situation reste toujours très alarmante».

Pourquoi le CICR cherche-t-il à établir une antenne en Russie?

La visite de Peter Maurer à Moscou a été suivie d’accusations sur les réseaux sociaux selon lesquelles le CICR aurait négocié la création d’un camp de personnes réfugiées dans le sud de la Russie.

Le CICR a souligné qu’il n’avait pas l’intention de créer un quelconque camp, mais qu’il avait discuté de l’ouverture d’un bureau à Rostov-sur-le-Don. Cette initiative s’inscrit dans le cadre d’une «vaste expansion régionale» visant à répondre aux besoins humanitaires là où ils se manifestent, a ajouté l’organisation.

Le CICR dispose d’équipes dans d’autres pays limitrophes de l’Ukraine, comme la Biélorussie, la Hongrie, la Moldavie, la Pologne et la Roumanie.

Une partie du travail du CICR consiste à mettre en relation et à réunir les familles séparées par la guerre et à veiller à ce que les dépouilles des soldats soient traitées avec dignité et rendues à leurs proches. Cela nécessite aussi une présence des deux côtés de la guerre.

Pourquoi aucune aide humanitaire ne parvient-elle à Marioupol?

Certaines personnes critiquent l’action du CICR – ou plutôt son inaction apparente – dans certaines régions d’Ukraine. Elles se demandent comment il est possible que des civils risquent leur vie pour fuir Marioupol, dans le sud de l’Ukraine, où des milliers de personnes restent bloquées sans accès à l’électricité, à l’eau, à la nourriture ou aux médicaments. Pourquoi aucune aide n’est-elle parvenue dans la ville assiégée?

La réponse est que le CICR ne peut pas empêcher les bombes de pleuvoir. Il ne peut pas, à lui seul, garantir un passage sûr pour que les personnes civiles puissent fuir et que les convois humanitaires puissent entrer.

En mars, le CICR, en collaboration avec la Croix-Rouge ukrainienne, a facilité deux convois d’évacuation sécurisée. Des milliers de civils ont ainsi pu quitter la ville de Soumy, dans le nord-est de l’Ukraine, pour Loubny, dans le centre du pays.

Le CICR a envoyé aux autorités russes et ukrainiennes des propositions détaillées en vue d’opérations de passage sécurisé hors de Marioupol, mais aucune des parties n’a pu se mettre d’accord à ce jour sur leurs conditions. Si un accord est trouvé, il appartient aux parties belligérantes d’en respecter les modalités. Celles-ci comprennent l’itinéraire, l’heure de début et la durée de l’opération.

Dans le cadre d’une telle opération, le rôle du CICR est d’accompagner le convoi civil et de rappeler aux soldats des deux camps qu’une opération humanitaire est en cours.

Des allégations selon lesquelles le CICR aurait participé à des évacuations forcées de l’Ukraine vers la Russie ont également circulé sur les réseaux sociaux. Le CICR a fermement nié avoir jamais soutenu une opération contre la volonté de la population, ce qui, selon lui, constituerait une violation du droit international humanitaire.

Les fausses informations – qu’elles soient intentionnelles ou non – menacent directement le CICR et les victimes de la guerre. Comme l’a souligné Robert Mardini, elles détournent également l’attention de là où elle devrait être, à savoir sur «l’obligation des parties au conflit de respecter les civils, de protéger les civils et d’aider les humanitaires à faire leur travail.»

Dorian Burkhalter – SWI swissinfo.ch