La Pologne a accueilli presque 2,5 millions de réfugiés ukrainiens. Parmi eux, près de 147’000 enfants ont rejoint les bancs des écoles, ce qui représente un immense défi, surtout dans les grandes villes. Reportage à Varsovie.
Certaines familles n’inscrivent pas leurs enfants à l’école polonaise, dans l’espoir que la guerre finisse bientôt et qu’elles puissent rentrer chez elles. Mais de nombreuses familles préfèrent tout de même scolariser leurs enfants.
Dans une école maternelle et élémentaire de la banlieue de Varsovie, plus de 80 enfants sont arrivés depuis le début de la guerre. A l’intérieur, les murs sont recouverts de dessins, des drapeaux polonais et ukrainiens entremêlés, des coeurs aux couleurs des deux pays, avec l’inscription dans les deux langues « solidarité avec l’Ukraine ».
Tout un Monde / 4 min. / 04.04.2022
Face à ces arrivées, du personnel supplémentaire a dû être embauché. La directrice Dorota Kuchta explique lundi, dans l’émission Tout un monde, avoir ouvert deux classes d’intégration, spécialement pour les enfants réfugiés. « Pour le moment, nous arrivons à nous en sortir. Mais si le même nombre d’enfants continue d’arriver, ce qui n’est pas exclu, ce ne sera plus possible ».
Et de souligner que certaines classes sont déjà pleines. « Il faudrait alors ouvrir une nouvelle classe d’intégration, mais pour cela, je vais devoir engager des professeurs. Or le problème, c’est qu’en Pologne, il n’y en a plus. On commence vraiment à avoir du mal à recruter des enseignants. Et maintenant, on a des postes vacants pour ces classes d’intégration pour une durée courte, de quelques mois, et personne n’en veut ».
Deux possibilités existent dans les écoles polonaises pour les enfants ukrainiens: soit les ajouter directement aux classes d’enfants polonais, malgré le problème de la langue, soit créer une classe d’intégration, s’il y a assez d’enfants, de places et de professeurs. Or selon la loi en vigueur, les professeures ukrainiennes fuyant la guerre peuvent seulement être embauchées comme assistantes, à l’exception de certaines situations, ce que regrette Dorota Kuchta.
« Ce qui est problématique, c’est que la plupart des Ukrainiennes qui arrivent en Pologne, même si elles ont les qualifications nécessaires pour enseigner ici, notamment la connaissance de la langue polonaise, ont pris avec elle dans leur fuite seulement leur passeport ou les actes de naissance, et non les originaux des diplômes, ce qui est obligatoire. Donc on peut les engager seulement comme assistantes multiculturelles pour aider, mais pas comme enseignantes ».
Le ministre de l’Education s’est montré optimiste: les écoles polonaises pourront accueillir plusieurs centaines de milliers d’enfants, à condition qu’ils soient bien répartis dans le pays, a-t-il assuré. Mais plusieurs acteurs du monde de l’éducation réclament plus de flexibilité, et demandent la création de classes internationales ukrainiennes, hors du système éducatif polonais.
C’est le cas de Dorota Łoboda, qui dirige une crèche. Cette Polonaise est aussi conseillère municipale pour l‘éducation à la mairie de Varsovie. « Ce serait mieux pour ces enfants d’apprendre dans leur langue, avec des professeurs ukrainiens et un programme scolaire ukrainien. Les accepter en classe polonaise n’est pas la meilleure solution car l’école polonaise ne leur est pas nécessaire, puisque les familles ne veulent pas rester à long terme ». Et à ses yeux, cela impose un grand stress pour ces enfants de se retrouver dans un système scolaire étranger, avec une langue étrangère, en plus d’avoir vécu la guerre.
Pour l’instant, les jeunes Ukrainiens et Ukrainiennes vont devoir passer les examens polonais, notamment le baccalauréat. Mais se pose le problème de la langue pour ces enfants ukrainophones et russophones, qui vont recevoir cependant des cours. Des psychologues ont également été recrutés par plusieurs écoles.
Dans certains cas, l’intégration va prendre du temps, selon Artur Lauterbach. Ce professeur d’éducation physique dans une école du centre de Varsovie, où sont arrivés une soixantaine de petits Ukrainiens, reste cependant optimiste: « Certains enfants vont très bien, d’autres sont très silencieux, isolés, timides. Cela dépend. Beaucoup de nos élèves polonais sont très excités, ils disent aux Ukrainiens: si vous avez besoin d’aide, n’hésitez pas, vous pouvez nous demander ce que vous voulez, qu’importe la langue ».
D’ailleurs, ils utilisent « Google translate » en permanence pour communiquer avec eux, relève-t-il. « Pour moi, en tant que professeur de sport, si je ne peux pas parler la langue, je peux montrer avec des gestes. C’est donc plus facile pour moi que pour des professeurs de polonais ou de mathématiques, qui se retrouvent avec des élèves de niveaux différents, de langue différente. Si l’enseignant ne parle ni ukrainien, ni russe, ni anglais, cela peut être très compliqué ».
Ces places supplémentaires dans les écoles ont un coût: le ministère de l’Education a promis de soutenir financièrement les gouvernements locaux, en charge de l’éducation.
Sarah Bakaloglou/jpr