«Pour combattre le changement climatique, chaque année compte!» — Genève Vision, un nouveau point de vue

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Créé en 1988, le GIEC est la plus haute autorité des Nations Unies pour la validation des sciences du climat. Il évalue l’impact du changement climatique sur les humains et offre aux décideurs des moyens de réduire les émissions de gaz à effet de serre au niveau mondial.

Ses rapports phares, publiés tous les six à sept ans, ont joué un rôle clé dans l’établissement de faits scientifiques, en prouvant notamment que le changement climatique est réellement en cours, et que l’humain en est le principal coupable.

Sa dernière publication, qui est actuellement en discussion et devrait être publiée le 9 août, est la première partie d’un rapport complet qui en comportera quatre, et qui devrait être publié entre 2021 et 2022. En raison des circonstances entourant les préparatifs, y compris les vagues de chaleur mortelles et les inondations, les restrictions liées au Covid-19 et les attentes élevées des militants, Abdalah Mokssit affirme que cette plénière est la plus intense à ce jour.

«Les attentes à l’égard de cette plénière sont liées à l’Accord de Paris, aux graves répercussions du changement climatique que nous vivons en ce moment et à la prise de conscience des jeunes. Cette rencontre coïncide aussi avec la pandémie. Pour toutes ces raisons, c’est la plus intense, la plus spéciale, la plus attendue, mais aussi celle soumise à un maximum de contraintes», déclare-t-il.

Les 195 États membres du GIEC parcourront le document ligne par ligne, une tâche qui prendra cette fois-ci pas moins de deux semaines, alors que les réunions précédentes, y compris les sessions plénières, ont généralement duré environ quatre jours.

Cette situation découle du fait que, pour la première fois, l’approbation devra se faire virtuellement. Il a fallu anticiper les questions de sécurité, mais aussi de connectivité, car tous les pays n’ont pas accès à une bonne connexion internet. «Nous avons fait des simulations pour pouvoir reproduire en mode virtuel ce que nous faisions en personne», dit-il. «Et c’était un travail énorme», ajoute-t-il, confiant que tout ira bien.

L’équation délicate

L’un des aspects délicats du GIEC réside dans le fait qu’il ne s’agit pas d’un organisme purement scientifique. Les gouvernements peuvent commenter les ébauches du rapport et doivent approuver les résumés finaux par consensus. «Nous avons toujours de vives discussions entre scientifiques et représentants des gouvernements», affirme M. Mokssit.

«Pour s’assurer que tout est scientifiquement solide, le dernier mot revient bien sûr aux scientifiques, mais tout est adopté avec le consensus des gouvernements. C’est la difficile équation que nous avons à gérer.»

Mais avant de faire face aux subtilités diplomatiques de l’approbation d’un document de politique mondiale commune, le GIEC doit gérer un groupe d’experts encore bien plus important. Les centaines d’auteurs sélectionnés pour préparer les différents chapitres du rapport sont examinés par des milliers de leurs pairs, qui envoient des dizaines de milliers de commentaires. Et les auteurs doivent répondre à chacun d’entre eux.

«Nous n’avons pas le droit de cacher quoi que ce soit. Toutes les données scientifiques fiables devraient être consignées dans notre évaluation», ajoute-t-il.

Ne pas ignorer la critique

Si le GIEC a gagné en notoriété, il a aussi fait l’objet de critiques et l’un des thèmes récurrents est son processus de longue haleine. Avec une accélération des changements climatiques à un rythme aussi soutenu, les données scientifiques peuvent rapidement devenir obsolètes. Les inondations de la semaine dernière en Europe centrale et en Chine, ainsi que les incendies aux États-Unis, ont rappelé brutalement que bon nombre des conséquences du changement climatique que le GIEC avait annoncées sont déjà là. Attendre six à sept ans qu’un rapport informe les dirigeants sur la manière de sauver la planète pourrait sembler déconnecté de la réalité.

Abdalah Mokssit déclare que le rapport de 2022 arrivera «juste à temps pour être utile». Il ajoute : «Nous ne voulons pas fournir d’informations trop tard.»

Pourtant, c’est précisément son processus d’examen approfondi qui fera que le GIEC restera la «norme d’excellence de la science climatique» selon lui.

«Le travail du GIEC va de pair avec la responsabilité, car si nous ne savons pas, nous avons un prétexte pour ne pas agir. Dès que nous savons, nous devenons responsables. Et si nous savons, et nous n’agissons pas, c’est comme vous dites en français, de la non-assistance à une planète en danger [en français dans le texte].»

Il souligne les nombreuses contributions passées du groupe: «La première évaluation du GIEC en 1990 a été cruciale pour l’adoption de la CCNUCC (Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques). En 1995, le deuxième rapport d’évaluation a été essentiel pour le Protocole de Kyoto. Le troisième rapport d’évaluation, publié en 2001, a été décisif pour l’introduction des préoccupations des pays en développement, c’est-à-dire une adaptation. Le quatrième, en 2007, qui a obtenu le Prix Nobel, a été crucial pour introduire le nombre de températures anormales de 2°C. Le cinquième a été capital pour l’Accord de Paris. Et désormais, le sixième de 2022, sera essentiel pour le premier bilan mondial de l’Accord de Paris.»

Combattre les négationnistes

Faire face aux conséquences du changement climatique et tenter de réduire les émissions pour prévenir tout réchauffement planétaire n’est pas la seule bataille de taille à mener. A mesure que le consensus s’est développé, et que la plupart des pays et des grandes entreprises se sont prononcés en faveur de la réduction des émissions, les théories du complot et le déni du changement climatique sont encore monnaie courante, principalement grâce aux médias sociaux et à la diffusion rapide de fake news.

Pour Abdalah Mokssit, la meilleure arme pour contrer le déni est la transparence. «C’est comme travailler dans une serre », dit-il. « Tout le monde peut voir ce que nous faisons. Tout le monde peut aussi vérifier le processus d’examen par les pairs.»

Le niveau de transparence n’a pas toujours été celui d’aujourd’hui. Car le GIEC a eu sa part de négligences. Même si cela date d’il y a plus de 10 ans, des erreurs, comme celle qui est apparue dans un rapport de 2007, qui disait à tort que les glaciers de l’Himalaya pourraient disparaître d’ici 2035, ont laissé une trace. Les négationnistes s’en sont servis pour prouver les failles des sciences principales du climat. En 2010, des accusations de conflits d’intérêts concernant le chef du bureau du GIEC ont aussi remis en question l’intégrité du groupe.

Abdalah Mokssit admet que les erreurs du passé n’ont pas été bien traitées, mais affirme qu’elles ont fourni des opportunités d’améliorations. «Ce qui serait vraiment problématique, c’est de ne pas apprendre des erreurs du passé», dit-il.

Aujourd’hui, le GIEC dispose d’une politique sur les conflits d’intérêts. «Nous avons un comité sur les conflits d’intérêts, afin de tout vérifier. Et ce comité a pour tâche de rejeter toute personne ayant ne serait-ce qu’un iota de conflit d’intérêts», ajoute-t-il.

De plus, il a créé un protocole de signalement des erreurs, afin que quiconque repère une erreur dans l’un des rapports puisse en informer le groupe. «La science est un processus d’améliorations continues», déclare le secrétaire du GIEC.

Le GIEC s’est également progressivement ouvert, pour devenir plus inclusif. «Nous redoublons d’efforts pour mobiliser les scientifiques des pays en développement, à la fois les jeunes et les femmes, et je pense que nous avons fait de grands progrès», confie Abdalah Mokssit. «En 2020, le GIEC a adopté une politique en matière d’égalité des genres pour renforcer l’égalité dans ses processus et promouvoir un environnement inclusif.»

Alors que le changement climatique a été propulsé en tête de nos préoccupations, un public plus large s’intéresse dorénavant aussi au GIEC. «Ces dernières années, nous avons vu de nombreux acteurs, y compris les jeunes, le secteur privé – et c’est nouveau – et la société civile, s’adresser au GIEC pour obtenir des informations» complète-t-il.

«Une communication efficace est d’autant plus importante. Pourquoi ? Parce qu’aujourd’hui, nous sommes sûrs que les résultats de nos évaluations ne sont pas seulement utiles pour les décideurs. Ils le sont aussi pour tout individu, tout intervenant, tout secteur privé, toute femme dans une région rurale, toute population autochtone ou toute minorité.»

Une fuite à point nommé

Malgré toutes les critiques, toutes les négligences ne sont pas perçues aussi négativement. Le mois dernier, l’un des rapports prévus pour l’année prochaine a fuité dans les médias. Le document tirait la sonnette d’alarme sur un certain nombre de points critiques pour le climat, qui se produiront plus tôt qu’initialement prévu.

«Il n’est pas rare que nous ayons des fuites, mais nous les gérons comme un risque», confie Abdalah Mokssit.

«Nous ne gardons pas les ébauches confidentielles parce que nous voulons garder le secret, mais parce que nous savons que le texte va changer et que nous voulons laisser aux auteurs le temps et l’espace nécessaires pour travailler sur le projet», souligne le secrétaire, précisant que les ébauches et commentaires sont toujours publiés après l’approbation du rapport final.

Il attire l’attention sur le fait que les ébauches passent par des changements avant d’atteindre la phase finale, et peuvent donc être trompeuses pour celles et ceux qui fondent leurs hypothèses sur celles-ci.

En dépit de ces avertissements, certains experts ont trouvé que la fuite du rapport avait un côté positif, nourrissant l’espoir qu’il pourrait au moins servir à alarmer les dirigeants qui se réuniront en novembre à Glasgow.

Lorsqu’on lui demande si la Cop26 de cette année sera la dernière chance de rallier le monde à l’objectif du 1,5°C, Abdalah Mokssit marque un temps de réflexion. En tant qu’organisme politiquement neutre – un point sur lequel il a insisté à plusieurs reprises tout au long de l’entretien – le GIEC ne peut pas commenter les négociations. En choisissant soigneusement ses mots, il confie : «Chaque part de réchauffement compte, chaque année compte, chaque action compte, et chaque Cop, y compris la Cop26, compte.»

Article de Michelle Langrand pour Geneva Solutions, traduit de l’anglais par Katia Staehli

Lire l’article en anglais de Geneva Solutions.