Faut-il punir la récalcitrante Pologne ? C’est la question européenne du moment. Mais le seul fait de l’énoncer fait déjà peur. Pour preuve, les chefs d’État et de gouvernements de l’Union, réunis en Conseil la semaine dernière, ont prétexté attendre de nouveaux avis de la Cour européenne de justice pour ne rien décider.
Bien des déclarations laissaient entendre que l’on allait voir ce qu’on allait voir, et que les mesures de rétorsion les plus sévères allaient être prises contre ce pays membre qui ne veut pas reconnaître la primauté du droit européen sur le droit national. Après les paroles tonitruantes, des mots apaisants. Ce pas en arrière intrigue. Mais j’y vois moins le choix assumé d’une diplomatie de la dernière chance que la manifestation d’un désarroi et d’une faiblesse insignes.
Des dizaines de milliers de Polonais manifestaient le 10 octobre dernier pour défendre l'appartenance de leur pays à l'Union européenne.
Et si la bonne question était plutôt : faut-il tout faire pour aider les démocrates polonais à sauver leur État de droit et la démocratie ? On confond un peu trop la politique erratique d’un parti populiste au pouvoir, le parti Justice et Paix (PiS), avec le sentiment général des Polonais, plus divisés et sceptiques que l’on ne le croit sur les initiatives intempestives de leur gouvernement. Beaucoup de Polonaises et de Polonais, dont l’ancien président du Conseil européen Donald Tusk, se battent dans le pays pour préserver les droits fondamentaux, l’indépendance des juges, chapeautés aujourd’hui par une improbable « chambre disciplinaire », une presse libre, le droit à l’avortement et les droits LGBT.
Ce sont des valeurs fondamentales pour les Européens et nous avons toutes les raisons de les défendre et de les réaffirmer. Ce qui se passe en Pologne nous concerne donc au plus haut point. C’est l’autre enjeu de ces passes d’armes qui nous semblent parfois lointaines.
Car ce n’est pas la Pologne qui conduit la guerre à l’Europe, c’est bien le gouvernement dirigé par PiS qui instrumentalise l’Europe comme un levier de plus pour conforter son pouvoir. Il y a beaucoup de cynisme dans cette manière d’alimenter à dessein les tensions avec l’Union.
L’Europe est ainsi désignée comme la source de tous les maux. Quand elle esquisse une politique d’immigration, préconise une politique climatique, ou enjoint de cesser la création de zone dite libre de LGBT, elle s’attire les foudres et les sarcasmes de Varsovie. PiS accuse Bruxelles de vouloir mettre au chômage les ouvriers des mines de charbon, de laisser entrer en Europe des hordes de réfugiés, ou de ne plus défendre leur identité.
La Pologne s’engage ainsi dans une série d’escarmouches dont elle ne contrôle pas elle-même l’issue. Elle assure ne pas vouloir quitter l’Union et être à l’écoute d’une population qui ne le souhaite pas. Mais les coups de boutoir répétés et vindicatifs laissent songeur. La Pologne est devenue imprévisible, ce qui ne facilite pas le dialogue, et ouvre à tous les risques. Dans une interview hallucinante au « Financial Times », le premier ministre Mateusz Morawiecki a dit il y a quelques jours que l’Union pouvait être la cause d’une 3e Guerre mondiale si elle refusait à la Pologne l’accès aux fonds européen.
Le pouvoir est peut-être plus aux abois qu’on ne le pense, incapable de juguler une inflation galopante, pas assuré de gagner les élections en 2023, obligé sans doute de reculer sur la chambre disciplinaire, craignant malgré tout d’être privé de la manne européenne.
A peine échappée du giron soviétique, la Pologne fut soucieuse de rejoindre la famille européenne, d’y trouver réconfort, bienveillance, et soutien. Elle les trouva. Depuis 2004, elle a bénéficié de près de 200 milliards d’euros. Elle était humble, elle joue désormais au bravache. Elle trouble, elle fait parler d’elle, elle s’enorgueillit, elle est quelque part.
Elle n’a pas de raison pour l’instant de quitter une Union européenne qui lui laisse jouer ce rôle de quérulente que le parti au pouvoir croit, à tort, glorieux et profitable.