Pologne: la forêt obscure — Genève Vision, un nouveau point de vue

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Le gouvernement polonais a décrété la zone frontière avec la Biélorussie zone d’exclusion. Il est interdit d’y pénétrer et difficile, donc, de connaître précisément le drame qui se déroule dans ce huis clos infernal. Mais les témoignages surgissent, de plus en plus nombreux, notamment sur les réseaux sociaux.

Ces hommes et ces femmes sont les victimes d’un bras de fer politique impitoyable. La Biélorussie fait l’objet de sanctions européennes depuis l’élection contestée de Loukachenko. Qui a trouvé là le moyen de se venger et de faire pression, en créant cette voie migratoire qui conduit aux frontières de l’Union européenne, en Pologne, mais aussi en Lituanie et en Lettonie.

Des intentions cyniques

L’OTAN dénonce cette « utilisation des migrants par le régime Loukachenko comme une tactique hybride et inacceptable ». Hybride comme ces guerres d’influences destinées à déstabiliser l’adversaire. Le porte-parole du gouvernement français, Gabriel Attal, accuse Loukachenko de « trafic d’êtres humains ». L’Union européenne veut sévir envers la Biélorussie et décréter de nouvelles sanctions.

Tous dénoncent le dictateur, soutenu à bouts de bras par Vladimir Poutine, et avec raison. Mais ils se montrent discrets et étonnamment compréhensifs envers le gouvernement polonais.

Le gouvernement polonais dirigé par le parti Droit et Justice (PiS), voit dans la crise l’opportunité d’aviver toutes les peurs. Il répond à la situation en envoyant 12 000 soldats sur le terrain, en décrétant l’état d’urgence le long de la frontière. Il refuse que l’agence européenne Frontex, en charge des frontières extérieures de l’Union, intervienne. Il viole les règles internationales en matière d’accueil, il n’autorise pas les ONG à entrer dans la zone. Il décide de construire un mur. Il s’érige en gardien de l’Europe, il en espère de la reconnaissance. Il laisse mourir des enfants à sa porte.

On désespère du gouvernement de PiS, et de l’Europe aussi, mais pas de tous les Polonais. Car un formidable élan de solidarité s’est élevé. Des maires, des médecins, des citoyens, se mobilisent pour localiser les réfugiés, leur apporter nourriture et vêtements chauds, dans un jeu cruel de cache-cache avec les gardes-frontières. A l’instar du réseau « Grupa Granica » (Groupe frontière).

Une situation qui se dégrade

Mais le drame pourrait prendre de l’ampleur. Loukachenko est déterminé à alimenter le flux et à semer la zizanie en Europe, car il sait que les Européens sont très divisés sur la politique d’asile. Depuis quelques jours, des milliers de réfugiés arrivent encore, escortés par les militaires biélorusses. Une cinquantaine de vols en provenance directe du Moyen-Orient sont annoncés ces prochaines semaines. Le froid se fait de plus en plus rude. La radio polonaise indépendante « Nowy Swiat » donne chaque jour les températures à la frontière. Histoire de souligner l’inhumanité du gouvernement.

« Quand on construit un mur, on ne sait pas quel côté sera le bon », dit Roza Thun, députée européenne et membre du parti de l’opposition « Plateforme civique », présidé par Donald Tusk. Comment imaginer que la Pologne qui fut du mauvais côté du Mur autrefois puisse imaginer qu’un mur soit aujourd’hui la solution la plus appropriée à une urgence d’abord humanitaire ?

On se souvient de la vague de 2015 et du geste d’Angela Merkel décidant d’accueillir un million de réfugiés. Quel dirigeant européen sera cette fois-ci à la hauteur de la chancelière ?

Cette forêt obscure polonaise va hanter longtemps l’Europe.

André Crettenand

La Lettre internationale suite.

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