Peur sur la ville — Genève Vision, un nouveau point de vue

0

Le président Emmanuel Macron raillait naguère le mode de vie amish, il appelle aujourd’hui à plus de sobriété et décrète la fin de l’abondance.

On devrait s’interroger sur cette peur déclinée à l’envi sur les réseaux sociaux et volontiers relayée par les médias. Non que nous ayons des raisons objectives d’être inquiets, mais le ton alarmiste des observateurs, et parfois des politiques, étonne. Un responsable suisse, en charge de la Police et de la Justice de son canton, prédisait il y a quelques jours des troubles violents et des pillages. Pas moins. L’obscurité et la rareté des produits engendreraient des combats de rue. L’homme est un loup pour l’homme.

La presse à Moscou a repris les propos avec jubilation.

Il ne faut pas pour autant tomber dans le complotisme et imaginer des stratégies coordonnées même si les trolls russes sont diablement efficaces. Ce sont des raisons objectives, et il y en a des subjectives : disons, comme le poète, qu’on ne fait pas de bonne littérature avec de bons sentiments. Les mauvaises nouvelles circulent plus vite que les bonnes. Les contes effrayants ont plus de succès que les chansons douces.

C’est sur le front politique qu’il y a le plus à craindre. L’Italie va connaître un changement de majorité et sa future leader, Giorgia Meloni, pourrait se révéler accommodante avec Vladimir Poutine. Le Royaume-Uni, sans tête, entre dans une phase de grèves et de mécontentement populaire. Il doit se concentrer sur la résolution de sa propre crise. La Finlande, nouvelle membre de l’OTAN, croit tenir son scandale parce que sa première ministre aurait le diable au corps. Emmanuel Macron téléphone à nouveau à Poutine, qui lui fait miroiter l’accord sur Zaporijjia. Le chancelier Olaf Scholz, affaibli, doit faire face aux critiques de sa coalition.

Ce sont bien les équilibres en Europe qui pourraient basculer. Une Europe divisée et désorientée est tout à l’avantage de Vladimir Poutine. Il compte sur cet amollissement qui pourrait mettre à mal la solidarité des Européens envers les Ukrainiens.

Voilà que je cède à la morosité comme tout le monde. La gestion de la peur est fondamentale dans cette guerre. Les politiques le découvrent, en font l’expérience.

Les États-Unis, eux, ne lâchent pas. Ils ont voté de nouveaux crédits d’armement, ils maintiennent la pression. Le consensus entre Démocrates et Républicains tient malgré l’échéance des élections de mi-mandat, en novembre. On peut bien sûr détester l’Amérique, tout ce qu’elle représente, le libéralisme, la conquête, voire ses erreurs passées et les calculs derrière ses engagements, mais c’est bien grâce à elle que l’Ukraine gagne sa liberté.

Dans cette ambiance délétère, on oublie surtout les Ukrainiens. Ils sont dans la guerre. Depuis 7 mois. Ils subissent dans leur chair l’invasion russe. Ils paient le prix du sang. Ils font preuve d’une détermination et d’un courage dont nous n’avons pas idée. On regarde tout cela de loin. On les oublie un peu. On pense à soi. C’est naturel, pas très rationnel.

En regard, nos peurs, et la douche froide, paraissent soudain dérisoires.

André Crettenand