Pékin, l’unique objet de nos ressentiments

17 décembre 2021

Joe Biden a dégainé le premier. Il a donc donné le ton. Que ce soit l’Australie et le Royaume-Uni qui aient suivi aussitôt, donne à voir l’AUKUS à l’œuvre, le sigle de la nouvelle coalition militaire qui affronte la Chine. Depuis, la Nouvelle-Zélande leur a emboîté le pas. Le Canada aussi. Le boycott, dit diplomatique, des JO de Pékin l’année prochaine est donc placé sous le signe de la nouvelle géopolitique mondiale.

Le sort des Ouïghours aurait pu justifier à lui-seul une telle décision. Mais il n’est désormais qu’un des éléments de la question, et du coup, pas le premier. Les États-Unis et la Chine sont engagés dans une confrontation majeure. Pour Joe Biden, la Chine est l’ennemie du siècle. Pour Xi Jinping, la Chine est décidée à ravir à son rival la première place.

AFP/Xinhua

Les Jeux sont volontiers pris pour cible. C’est qu’ils suscitent un engouement populaire naturel, captent l’attention de la planète entière et génèrent des recettes commerciales appréciables.

Le boycott annoncé est donc un épisode de guerre. Cette guerre hybride dont on parle de plus en plus, et non la protestation la plus évidente contre la violation des droits humains. Et comme dans une guerre, il y a les attaques, on y répond avec les contre-attaques. « Ils paieront inévitablement le prix de ce mauvais coup », menace le porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères.

Tout le monde est prévenu. La petite Lituanie qui vient d’accepter l’ouverture dans son pays d’un « bureau de représentation de Taïwan » – acte rare de lèse-majesté – s’est attiré les foudres du géant asiatique. Malheur à qui lui résiste.

L’Europe s’interroge. Soucieuse de l’application des droits humains, elle ne veut pas pour autant se glisser automatiquement dans le sillage américain. « Une mesure toute petite et symbolique », dit Emmanuel Macron pour qualifier le boycott diplomatique. Ce n’est pas glorieux, mais pas faux non plus. L’absence de quelques chefs d’États n’empêchera pas la Chine de célébrer la grandeur du régime. Et seront présents Vladimir Poutine et le secrétaire général des Nations Unies, António Guterres.

Les Jeux sont volontiers pris pour cible. C’est qu’ils suscitent un engouement populaire naturel, captent l’attention de la planète entière et génèrent des recettes commerciales appréciables. A l’heure de la guerre hybride qui comprend les stratégies d’influence, les États-Unis ne pouvaient pas laisser passer une telle opportunité de gâcher la fête. Le seul fait d’ouvrir la polémique est déjà un succès en soi.

Peu de risque, en revanche, que les JO soient boycottés sur le plan sportif. Personne ne souhaite punir les sportifs et les sportives du monde entier. Et comme le dit fort justement Pascal Boniface, il n’y a pas de raison que le sport soit la seule variable d’ajustement des rivalités internationales. Ou alors, il faudrait s’interdire toutes les relations commerciales et culturelles avec la Chine.

La société du spectacle

Si on n’est pas trop surpris par ces escarmouches qui se répètent désormais avant toute grande compétition sportive – le Mondial au Qatar va suivre – on constate, en revanche, que les sportifs, eux, sont de plus en plus enclins à s’engager. Les footballeurs mettent le genou à terre pour dénoncer le racisme. Antoine Griezmann a mis fin à son partenariat avec la firme chinoise Huawei pour protester contre le sort des Ouïghours. Plus récemment, Steve Simon, patron du tennis féminin, a annulé toute tournée en Chine tant que la joueuse Peng Shuai ne serait pas réapparue libre.

La Chine n’en a cure. Mais il est à parier que ces gestes forts, ciblés, spectaculaires, porteront de plus en plus. Entreprises et États vont devoir compter avec le risque de mauvaise image. Tout ce qu’ils détestent et redoutent dans la société du spectacle.

André Crettenand

La Lettre internationale du 18 décembre – Pékin JO en question – Italie: mamma mia! – Elon, le must – la ruse en géopolitique – menace de famine en Afghanistan – Elisabeth Roudinesco, je roi – Genève internationale en photos – retrouver la sagesse de l’hospitalité – Rétro Meret Oppenheim.

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