Pap Ndiaye: „La Suisse ne peut pas s’exonérer d’une histoire qui a des liens avec le vaste monde colonial” — Genève Vision, un nouveau point de vue

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Il y a quelques jours, le « New York Times » qualifiait Pap Ndiaye de « Quiet Revolutionary », le révolutionnaire tranquille. A 55 ans, il a été nommé par Emmanuel Macron en février à la tête du Palais de la Porte Dorée, qui héberge le Musée national de l’histoire de l’immigration et un aquarium tropical, à Paris.

« Loin de ces polémiques politiques, un musée de l’histoire de l’immigration présente plutôt cette question dans une longue perspective historique depuis le XVIIIe siècle, en ce qui nous concerne. Le travail des scientifiques et des historiens nous permet de prendre la bonne distance par rapport à des questions qui sont souvent mal traitées dans la vie publique. »

Selon lui, la Suisse « ne peut pas s’exonérer d’une histoire qui a des liens avec le vaste monde colonial », qui se déploie à partir du XVIe siècle: « La Suisse n’a pas de passé colonial, au sens où elle n’a pas eu d’empire, mais tous les pays d’Europe ont été liés à l’histoire coloniale des Européens par des relations commerciales ou des investissements de marchands suisses, y compris dans la traite transatlantique. »

Question sur la statuaire publique

Faut-il déboulonner les statues liées à l’esclavagisme dans les villes? Entre déboulonner ou garder, le débat est « un peu simple », selon Pap Ndiaye. Il prend l’exemple de la statue du général Lee, partisan de l’esclavage dans le sud des Etats-Unis, à Richmont, en Virginie.

« On peut imaginer un entre-deux qui consiste à conserver la statue, mais à l’accompagner de dispositifs qui détournent le sens originel. Il ne s’agit plus de glorifier un partisan de l’esclavage – ce serait ridicule – mais de montrer que ce général a joué un rôle néfaste dans l’histoire du pays. La présence même de cette statue a plus d’intérêts mémoriels aujourd’hui que sa disparition pure et simple », juge-t-il.

Selon lui, les artistes contemporains pourraient être sollicités pour imaginer ces dispositifs, comme l’a spontanément fait Banksy pour la statue d’Edward Colston à Bristol, au Royaume-Uni. « Il y a énormément de choses plus créatives et plus intéressantes à explorer que la simple alternative entre le boulonnage et le déboulonnage. »

Ainsi, Pap Ndiaye prône pour un débat muséal plutôt que sur la Toile. « Il faut faire un pas de côté par rapport à ce déferlement d’informations qui brouille la réflexion plutôt qu’il ne la nourrit. Twitter ou certains plateaux de chaînes d’information en continu ramassent les débats, les stéréotypes, les caricatures et tournent le dos à la réflexion. (…) Or, les musées ou les livres proposent de prendre de la distance par rapport à ces échanges. Réfléchir, cela veut dire prendre son temps pour construire une relation avec le passé qui permet de mieux éclairer le présent. »

Propos recueillis par David Berger

Adaptation web: Valentin Jordil