Cela s’appelait la finlandisation. Un entre-deux géopolitique, interdisant d’étreindre sereinement l’ouest, mais qui garantissait une certaine indépendance. Une neutralité contrainte, imposée par le puissant voisin. Un héritage de la guerre froide. Voilà que la Finlande se rebiffe, et ne veut plus de cet état d’apesanteur, de ce non-choix confortable, mais peu digne. Elle dépose une demande d’adhésion formelle à l’OTAN, qui la fait basculer dans le bloc occidental de la défense, de manière irrémédiable, et qui lui vaut les foudres de la Russie. Celle-ci vient de lui couper les livraisons d’électricité.
La Suède, neutre depuis le début du 19e siècle, s’engage sur la même voie.
La Première ministre de Finlande, Sanna Marin.
C’est l’effet puissant de l’invasion de l’Ukraine. Les pays les plus pacifistes du monde frappent à la porte de l’organisation militaire. La Russie accusait l’OTAN de s’étendre, elle en a elle-même provoqué l’extension. La Finlande partage 1300 kilomètres de frontières avec la Russie. Le voisinage immédiat de la Russie, et l’attitude belliqueuse de son président, ont hâté la réflexion sur la sécurité. Ironie de l’histoire, il y a peu, on invitait les Ukrainiens à étudier le modèle finlandais comme un exemple à suivre.
Choix de la peur ou de la raison ? On pourrait argumenter qu’il n’y a pas de menace militaire réelle immédiate envers la Suède et la Finlande. Deux pays qui bénéficient déjà d’accords avec l’OTAN. Il faut surtout y voir une décision politique, le choix assumé d’appartenir à un ensemble géostratégique. Les experts du nord jugent qu’il ne sera plus possible à l’avenir de naviguer dans une zone grise, entre blocs, qu’il existe le risque d’être pris comme un navire dans la glace, entre deux icebergs. : « L’invasion russe de l’Ukraine a détérioré la situation sécuritaire de la Suède », fait valoir de son côté la ministre suédoise des Affaires étrangères Ann Linde.
L’OTAN plutôt que la défense européenne. Le parapluie américain est jugé le plus efficace comme l’affaire ukrainienne le prouve. On ne saurait blâmer les candidats. Ce qui permet à Jens Stoltenberg, secrétaire général de l’OTAN, de triompher : « L’Ukraine est toujours debout, l’OTAN plus forte que jamais, l’Amérique et l’Europe solidement unis ». Aujourd’hui, tout concourt à ce que l’on choisisse son camp. Le non-alignement n’est plus une option.
Voilà qui interpelle la Suisse. Elle a fait évoluer radicalement son interprétation de la neutralité en adoptant toutes les sanctions décidées par l’Union européenne. Ce qui lui vaut d’être cataloguée ennemie par la Russie. Des politiques, comme le président du Centre, Gerhard Pfister, juge qu’il faut aller plus loin, livrer des armes à l’Ukraine. Des experts militaires conseillent d’examiner une adhésion à l’OTAN. Ce qui est, aujourd’hui, impossible avec la neutralité.
Visiblement, pour les Finlandais et les Suédois, la solidarité et les seuls accords de coopération avec l’OTAN ne sont plus une garantie suffisante. La neutralité non plus.
Un sondage récent révèle pourtant qu’un tiers des Suisses serait favorable à l’adhésion. Et une majorité se prononce pour des liens plus étroits. La conseillère fédérale Viola Amherd dit que le pays doit compter sur lui seul, mais elle dit aussi qu’il faudra peut-être compter sur la solidarité des Européens, au cas où. Visiblement, pour les Finlandais et les Suédois, la solidarité et les seuls accords de coopération avec l’OTAN ne sont plus une garantie suffisante. La neutralité non plus.
« A l’heure où la Finlande et la Suède décident de rejoindre l’OTAN, que signifie ce statut hérité des guerres du 19e siècle et qui a fait ses preuves de manière plus ou moins convaincante au cours des guerres du 20e siècle ? », analyse François Nordmann, dans « Le Temps ». Qui nous incite à nourrir concrètement le concept de neutralité, pas seulement à le brandir.
Si l’on réfléchit bien, la neutralité n’est plus vraiment aujourd’hui un bouclier sécuritaire. Ce n’est pas une affaire de défense. Elle est, en revanche, un élément essentiel, et sans doute constitutif, de notre identité. Un mythe, mais qui nous importe.
Rester à l’écart, ne pas se mêler des affaires des autres, les écouter, panser leurs plaies, et vivre heureux. La Suisse sans souci s’est satisfaite d’une ambition minimaliste que l’invasion russe en Ukraine bouscule. Poser la question de l’adhésion de la Suisse à l’OTAN aurait paru hors de propos, fantaisiste, il y a quelques semaines encore. Ce n’est plus le cas. Les temps changent, et si vite.
La Lettre internationale du 21 mai 2022: OTAN, et la Suisse? – chars, caverne d’Ali Baba – Genève capitale de la paix et du climat – trou noir – habiter sur Mars