Nazhat Shameem Khan, Présidente sortante du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies — Genève Vision, un nouveau point de vue

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Ancienne procureure et première femme juge de la Haute Cour des Fidji, avant de rejoindre la mission de son pays à Genève en tant qu’ambassadrice en 2014, elle a supervisé de nombreuses initiatives en faveur des droits humains soutenues par la nation insulaire du Pacifique, de l’abolition de la peine de mort par les Fidji à la lutte mondiale contre le changement climatique.

Depuis son adhésion au Conseil des droits de l’homme en 2019, Fidji a soutenu des enquêtes sur les violations des droits humains signalées au Venezuela, aux Philippines, en Biélorussie, en Syrie et au Yémen, Nazhat Shameem Khan assumant elle-même la Vice-Présidence. Le solide bilan du pays en matière de dénonciation des violations des droits humains a suscité l’opposition des membres autocratiques du Conseil, tels que la Russie et la Chine, alors même que le bilan des Fidji en matière de droits a été par le passé examiné de près par l’organe, notamment sur les questions liées à la liberté des médias et les violences politiques.

Mais lorsque Nazhat Shameem Khan a repris les rênes du Conseil au début de cette année, sa victoire a été saluée comme une victoire pour les États qui croient au pouvoir du Conseil de demander des comptes aux auteurs de violations des droits humains.

Alors qu’un petit État insulaire en développement (PEID) occupe pour la première fois la Présidence, la nomination de Nazhat Shameem Khan a aussi été une victoire pour les petits pays qui ont longtemps lutté pour faire entendre leur voix dans des institutions internationales telles que l’ONU.

«Le fait qu’un PEID monte sur le podium et assume pour la première fois la Présidence, a été je pense une fierté pour tous les petits pays du monde» a confié Mme Khan à Geneva Solutions depuis le Palais des Nations à Genève, au dernier jour de sa Présidence du Conseil.

«Je pense que le fait qu’un petit État insulaire du Pacifique ait occupé la Présidence du Conseil montre que nous pouvons le faire. Ce leadership est très important parce qu’il encourage d’autres petits États à y aspirer, mais il a aussi contribué à changer les discussions au sein du Conseil.»

Les «discussions» dont parle Nazhat Shameem Khan portent sur des questions de droits humains qui revêtent la plus haute importance pour les petits États tels que les Fidji, l’une des plus urgentes étant celle du changement climatique. Depuis que la mission des Fidji a ouvert ses portes à Genève en 2014, le pays a travaillé sans relâche pour faire en sorte que le changement climatique fasse partie des priorités de l’agenda du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies.

«Le changement climatique est le sujet qui intéresse le plus les Fidji», déclare Nazhat Shameem Khan. «Et lorsque nous sommes arrivés ici en 2014, nous avons constaté à notre grand étonnement qu’il y avait dans le fond très peu de discussions sur le changement climatique et les droits humains, surtout au sein du Conseil. Nous avons donc décidé d’y remédier, car nous savions que c’étaient ces discussions-là qui allaient nous aider sur le terrain dans notre cheminement pour les droits humains aux Fidji.»

À l’instar d’autres pays plus petits qui subissent les conséquences des changements climatiques, tels le Costa Rica, les îles Marshall et les Bahamas, les Fidji ont aidé à faire reconnaître à l’échelle internationale que le changement climatique est une question de droits humains. Ils ont aussi amené leur contribution à des décennies de plaidoyer depuis 1990, date à laquelle les droits environnementaux ont été débattus pour la première fois au Conseil.

«Ce sont les petits États insulaires en développement (PEID) et les pays les moins avancés (PMA) qui, non seulement font face au changement climatique au quotidien, mais doivent aussi se pencher sur la part de leur PIB qui est réellement utilisée pour l’adaptation au changement climatique», dit la Présidente sortante. «Donc, les petits pays et les PMA veulent vraiment parler de la question du changement climatique et des droits humains.»

Ce travail a permis d’atteindre un jalon historique cette année, lorsque le Conseil des droits de l’homme a reconnu que le fait d’avoir un environnement propre, sain et durable est un droit humain à part entière, et a nommé un expert des Nations Unies pour superviser l’incidence des changements climatiques sur les droits humains dans les pays du monde entier.

Un grand moment de fierté

Nazhat Shameem Khan confie que la supervision de la création de ce droit a été son «plus grand moment de fierté» durant sa Présidence.

«Lorsque vous devenez membre du Conseil, vous devez prendre des engagements, et l’un des engagements des Fidji était de travailler à la création d’un droit à un environnement sain et sécuritaire», dit-elle. «C’est donc une immense fierté pour nous d’avoir vu, lors de notre dernière année en tant que membre, la création de ce droit sous la Présidence des Fidji. Cela a vraiment été un moment assez extraordinaire.»

Le changement climatique n’a sans aucun doute jamais été aussi important dans l’agenda des Nations Unies qu’au cours de la dernière année, avec les deux résolutions adoptées seulement quelques semaines avant la COP26 à Glasgow, qui a mis en lumière les effets dévastateurs du changement climatique.

Mais ce n’est qu’une des nombreuses questions qui ont retenu l’attention du Conseil pendant la Présidence de Nazhat Shameem Khan, qu’elle a repris au plus fort de la pandémie de Covid-19. Les restrictions de voyage et les inquiétudes concernant la propagation du virus ont forcé l’instance à adapter sa manière de travailler, rendu les réunions en présentiel pratiquement impossibles, et nécessité un passage à un format virtuel qui se poursuit aujourd’hui.

Malgré ces défis, l’organisme a connu l’une de ses années les plus chargées de l’histoire, avec trois sessions ordinaires et un nombre record de cinq sessions extraordinaires sur les situations urgentes en matière de droits de l’homme au Myanmar, en Afghanistan, dans le Territoire palestinien occupé (TPO), au Soudan, et plus récemment, en Éthiopie.

«Je suis fière du fait que nous avons poursuivi notre travail durant la pandémie» a confié Mme Khan.

«Nous avons œuvré et adopté des résolutions qui étaient vraiment importantes pour le monde – des résolutions sur l’accès aux vaccins, qui est une question tellement importante à l’heure actuelle. Des résolutions sur les droits des femmes et des filles à la santé, et sur des situations spécifiques à certains pays.»

«Nous nous sommes dit que nous ne laisserions pas le coronavirus vaincre le Conseil. D’une part, nous devons discuter du coronavirus et de ses répercussions sur les droits humains. D’autre part, nous devons continuer de siéger. Et je pense que nous pouvons être fiers de ce que nous avons réalisé.»

En dépit de ces victoires, le Conseil a aussi été l’objet de certaines critiques cette année. Des membres ont par exemple été accusés de ne pas être allés assez loin pour enquêter sur les violations des droits humains en Afghanistan, après la prise de pouvoir des talibans en août, bien que la décision de ne pas établir un mécanisme d’enquête spéciale pour ce pays ait été annulée par la suite.

Premier rejet d’une résolution

Un vote appuyé par la Russie et d’autres pays pour mettre fin aux enquêtes sur les crimes de guerre au Yémen a également suscité la consternation de la communauté internationale, marquant le premier rejet d’une résolution dans l’histoire du Conseil.

Bon nombre des réunions les plus acrimonieuses du Conseil peuvent être attribuées aux tensions croissantes entre ses membres, principalement des pays tels que la Russie et la Chine; et les États-Unis, qui ont rejoint le Conseil à titre d’observateur cette année, peu après l’élection du Président Joe Biden.

On craint depuis longtemps que des affrontements diplomatiques entre les puissances mondiales ne fasse échouer le travail du Conseil. A l’opposé, Nazhat Shameem Khan soutient quant à elle que la diversité des opinions et le débat sont l’une des plus grandes forces du Conseil.

«Nous ne pouvons pas nous attendre à ce que deux ou cinq pays, ou 10 ou 47 pays, pensent la même chose en matière de droits humains», dit-elle. «Mais je pense que c’est précisément la compétence du Conseil que d’entendre ces points de vue fermes, et sa plus grande force que d’obliger les pays à s’écouter.»

Une organisation démocratique

Beaucoup soutiennent que les discussions dans les organisations multilatérales se concentrent encore fondamentalement sur les pays puissants, laissant moins de place aux petits États. «Cela peut être le cas dans une certaine mesure, surtout lorsque les pays exercent leur droit de veto ou lorsque le point de vue d’un pays puissant peut étouffer ceux des autres» ajoute Nazhat Shameem Khan.

Mais elle soutient qu’il n’y a pas de place pour ces tactiques au sein du Conseil. «Le Conseil est une organisation structurée démocratiquement, où nous votons si nous n’obtenons pas de consensus. Et je pense que c’est une différence très importante.»

«La chose la plus importante est qu’aucun intervenant ne fasse cesser le débat, et qu’aucun intervenant ne puisse empêcher l’adoption d’une résolution.»

«Cependant, pour soutenir le processus démocratique, il est essentiel que tout le monde ait voix au chapitre, dit-elle, des petits États comme les Fidji aux organisations de la société civile.» La pandémie a empêché de nombreuses organisations d’interagir avec le Conseil comme elles le font habituellement, ce qui a eu pour effet de diluer leur influence et de les exclure des décisions et débats importants.

L’ambassadrice sortante affirme qu’il reste encore beaucoup de travail à faire pour «uniformiser les règles du jeu» au sein de l’organisme, et que toutes les voix soient entendues. «Parce qu’avec la meilleure des bonnes volontés, les petits pays et les petits joueurs sont souvent éclipsés lorsqu’il s’agit du pouvoir de négociation plus important des grands pays dans les salles de pourparlers», précise-t-elle.

Fournir une plateforme à la société civile est une fonction-clé de l’organisme, qui doit être maintenue. Nazhat Shameem Khan raconte l’histoire d’une mère qui a été présentée au Conseil lors d’un débat sur la situation des droits de l’homme au Nicaragua.

«Elle parlait de ce qui était arrivé à son fils, qui est mort dans une crise des droits humains dans son pays, et son message était tellement convaincant que toute le monde avait la larme à l’œil» explique la Présidente sortante. «Ce message a fait plus pour changer la politique à ce moment-là que des années de travail. Nous devons garder ces voix au sein du Conseil et nous devons les écouter.»

Un nouveau défi

Son successeur argentin, Federico Villegas, s’est engagé à poursuivre son travail. Dans son premier discours suite à l’annonce de sa Présidence au début du mois, il a présenté son plan pour assurer que le Conseil soit une «plateforme stable pour renforcer le dialogue et approfondir la compréhension des points communs et des différences en matière de droits humains», et «en apprendre davantage sur les multiples rôles que jouent les organisations de la société civile dans l’amélioration des droits de l’homme aux niveaux mondial et national.»

Alors que Nazhat Shameem Khan fait ses adieux à Genève et se prépare à son nouveau rôle de procureure adjointe à la Cour pénale internationale (CPI), l’autoproclamée «dangereuse optimiste» affirme que l’année écoulée lui a enseigné de précieuses leçons, qui l’accompagneront à La Haye, et tout particulièrement l’importance de permettre à chacun·e d’avoir son mot à dire en matière de droits humains.

«Nous avons beaucoup écouté cette année» dit-elle. «Ecouté les pays qui se plaignent souvent que personne n’écoute. Et je me suis personnellement assurée que je n’exclue personne d’un débat ou d’une discussion.»

Article de Pip Cook pour Geneva Solutions, traduit de l’anglais par Katia Staehli