Menaces de mort et polémique autour d'un reportage sur l'islamisme radical en France — Genève Vision, un nouveau point de vue

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M6 n’avait-elle pas anticipé les conséquences de la diffusion de ce sujet? La chaîne avait en tout cas décidé de réduire la promotion du reportage avant sa diffusion, sachant qu’elle marchait sur des œufs. La réalisatrice du documentaire, Michaëlle Gagnet, savait elle aussi que ce sujet allait déclencher une polémique. Elle dit aller bien car elle a été moins exposée que la présentatrice de l’émission et que l’un des protagonistes du reportage.

« J’ai reçu des insultes et je suis sûre qu’il y en aura encore beaucoup. Mais je fais en sorte de ne pas regarder les réseaux sociaux avec trop d’attention. Mais Ophélie Meunier et le témoin ont reçu, eux, des menaces de mort sur les réseaux sociaux, par mail et par téléphone. Le témoin en a reçu plus de 300, il est sous protection policière et ne peut plus rentrer à Roubaix. Ce ne sont pas de simples critiques sur le documentaire », fustige-t-elle.

Autocensure?

Après quelques jours de flottement, quasiment tous les médias français ont publié un message de soutien à Ophélie Meunier. Mais la question qui se pose désormais est celle de l’autocensure: les rédactions continueront-elles à traiter de sujets qui peuvent faire peser des menaces sur leurs journalistes?

« C’est difficile, parce que l’on réfléchit à deux fois avant d’écrire quelque chose. On sait que c’est un sujet qui nous causera sûrement des ennuis. ll n’y a pas beaucoup de chaînes qui ont envie de se lancer sur ces sujets-là », atteste Michaëlle Gagnet.

Pour la réalisatrice, il est important de « ne pas avoir peur », surtout quand les propos sont mesurés. « Nous ne disons pas que les musulmans sont dangereux, loin de là. Nous répétons au contraire quinze fois dans le documentaire que c’est un tout petit nombre d’extrémistes qui utilisent la religion à des fins idéologiques. »

Selon une source policière citée par Le Monde, entre 120 et 150 personnes sont sous protection policière pour des raisons similaires en France. Parmi elles, l’équipe de Charlie Hebdo, qui travaille dans un lieu secret et ultra-sécurisé depuis l’attentat qui l’a visé en 2015. Son rédacteur en chef Gérard Biard rappelle les risques.

« Pas grand-chose n’a changé depuis janvier 2015: les grands médias découvrent juste que ça peut leur arriver à eux aussi », note-t-il. « Parce qu’il est aujourd’hui très difficile d’aborder les sujets religieux de manière générale, mais plus particulièrement celui de l’islam et de l’islam radical. Dès que l’on aborde ce sujet et que l’on montre une réalité qui est malheureusement celle de certains endroits, on est confronté à des accusations, on se voit taxer d’islamophobie, on est accusé de faire un amalgame entre ces islamistes radicaux et tous les musulmans », regrette le journaliste.

Récupération politique

Dans une France en pleine campagne électorale pour la présidentielle d’avril, l’un des candidats de la droite identitaire, Eric Zemmour, a sauté sur l’occasion en citant le reportage en exemple.

Michaëlle Gagnet, qui dit se situer politiquement aux antipodes d’Eric Zemmour, le déplore. Ce qui n’empêche pas les détracteurs du reportage de voir dans son documentaire une manœuvre politique et islamophobe.

« En fait, le reportage avait déjà décidé ce qu’il allait dire sur Roubaix avant même d’aller sur le terrain. Tout était déjà écrit et scénarisé », estime David Guiraud, porte-parole de la jeunesse de la France insoumise dans une chronique sur Le Média TV. « Au fond, il s’agissait pour M6 de dire que l’islamisme commence à la boucherie hallal du coin. Mais le reportage est incapable de faire cette démonstration, c’est pour cela que tout fonctionne par sous-entendu, par insinuation, par colportage. Le reportage qui se présente comme une investigation n’en est pas une, et n’apporte aucun fait nouveau au public », critique-t-il.

Précisons que le documentaire devait être initialement diffusé le 16 octobre pour la date anniversaire de l’assassinat de Samuel Paty, mais il n’avait pas pu être bouclé à temps. Sur l’accusation d’islamophobie, Gérard Biard, qui précise ne pas avoir vu le documentaire, estime de manière générale qu’il faut réagir.

« Le danger, c’est précisément de se laisser impressionner par cela, et surtout d’accepter d’être assimilé à la fachosphère », prévient-il. « Il faut répondre à cela, dire qu’on ne peut pas laisser uniquement la droite et l’extrême droite parler de l’islam. Et on ne peut pas laisser les populations qui vivent dans ces endroits être pris en tenaille, entre l’islamisme radical d’un côté et l’extrême droite de l’autre. »

Une dernière controverse touche également les méthodes employées par la réalisatrice et la société de production. Certaines personnes interviewées estiment en effet que leurs propos ont été déformés et annoncent vouloir porter plainte. Ce qui n’explique pas pour autant les menaces émises dès la diffusion du reportage, avant toute polémique sur les conditions de sa réalisation.

Alexandre Habay/kkub