Lukas Aubin: il reste „très peu d'options à Vladimir Poutine dans son escalade” — Genève Vision, un nouveau point de vue

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Ce décalage entre la réalité et le récit qu’en donne le Kremlin inquiète les Occidentaux. Comment va réagir Vladimir Poutine? Il a plusieurs fois fait allusion aux armes nucléaires, un scénario auquel on se prépare sans vouloir y croire dans les capitales occidentales, à Washington comme à Berne ‒ le Conseil fédéral a ainsi annoncé vendredi la mise sur pied d’un état-major de conduite en cas d’événement nucléaire lié à la guerre en Ukraine.

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Les annexions ont changé la donne

Pour le chercheur français Lukas Aubin, directeur de recherche à l’Institut des relations internationales et stratégiques à Paris (IRIS) et récent auteur du live « Géopolitique de la Russie », on ne peut pas rapporter simplement les actions de Vladimir Poutine à une tentative de bluff. « On m’aurait posé cette question il y a deux semaines, j’aurais évidemment répondu que c’est du bluff à 100% », a-t-il répondu lundi au micro de l’émission Tout un monde. Mais pour lui, la situation a changé depuis l’annexion formelle par la Russie de régions actuellement au coeur des affrontements. En se conformant à la lettre à la doctrine nucléaire russe, Vladimir Poutine pourrait justifier l’usage d’armes atomiques.

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L’escalade verbale entre Russie et Occident, à ses yeux, correspond à l’escalade observée sur le terrain. « Vladimir Poutine est dans une logique de fuite en avant. Il lui reste très peu d’options dans son escalade. Aujourd’hui, j’en vois trois: une mobilisation générale à la place de la mobilisation partielle, une déclaration de guerre contre l’Ukraine ou contre l’Otan, et l’usage de l’arme nucléaire sur le terrain », énumère le chercheur, avant de résumer: « Il reste deux marches, selon moi, avant l’usage de l’arme nucléaire ».

Lukas Aubin, directeur de recherche à l’Institut des relations internationales et stratégiques à Paris (IRIS)

Les dangers de la « défaite interdite »

Cette fuite en avant est la conséquence d’une posture prise par le président russe dès le début de la guerre, posture qui transparaît dans ses discours et dans ses actions: pour lui, la défaite est interdite. « Et pour éviter cette défaite, il utilise tous les moyens dont il dispose », souligne Lukas Aubin. « Par exemple, l’usage de la mobilisation partielle était quelque chose de véritablement inattendu selon la plupart des spécialistes, puisque l’objectif de Vladimir Poutine était de conserver au maximum sa population en dehors du conflit, de la dépolitiser, de la rendre amorphe par rapport à ce qu’il appelait une opération militaire spéciale. »

Or, depuis cette annonce de mobilisation partielle, la guerre est véritablement entrée dans tous les foyers russes, engendrant un fort mécontentement d’une partie de la population envers son dirigeant. « Par là même, il montre qu’il est capable de tout, y compris de se mettre en porte-à-faux vis-à-vis de sa population », constate le chercheur français.

Lukas Aubin

Mécontentement difficile à mesurer en Russie

L’étendue du mécontentement atteint est cependant difficile à mesurer. « Nous, les chercheurs, avons beaucoup de difficultés à prendre le baromètre de l’opinion en Russie », confirme Lukas Aubin en rappelant que toute opposition frontale à « l’opération spéciale » menée en Ukraine est passible, pour la population, d’une peine qui peut aller jusqu’à 15 ans de prison.

Mais certains indices ne trompent pas: « On a des données visuelles et mêmes numériques qui montrent qu’à peu près 300’000 hommes auraient fui la Russie depuis l’annonce de la mobilisation partielle. Et on a vu de nombreuses manifestations dans différentes villes, notamment dans les républiques où vivent des minorités ethniques non russes qui sont extrêmement mobilisées au front », explique l’auteur de « Géopolitique de la Russie ».

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Propos recueillis par Eric Guevara-Frey
Adaptation web: Vincent Cherpillod

Le « monde multipolaire » prôné par Poutine n’est pas encore un échec

Pour justifier l’intervention russe en Ukraine, Vladimir Poutine s’appuie sur une idéologie dont il fait la promotion depuis 2007: la volonté de voir émerger un monde multipolaire au détriment du « monde unipolaire » incarné selon lui par les Etats-Unis. Ce monde multipolaire doit permettre à la Russie d’occuper une place centrale, aux côtés, notamment, de la Chine et de l’Inde.

A première vue, cette volonté semble être mise en échec par le soutien peu appuyé que la Chine et l’Inde apportent à la Russie dans cette guerre. Selon Pékin, par exemple, Vladimir Poutine devrait mettre fin à cette opération assez rapidement, sous peine de s’isoler encore davantage.

« Néanmoins, dans les faits, la Chine et l’Inde n’ont pas officiellement condamné l’annexion des quatre régions de l’est de l’Ukraine », signale Lukas Aubin. « On a donc les discours qui disent que la Russie doit stopper cette opération, mais dans les faits, pour le moment, l’Inde et la Chine soutiennent toujours le régime de Vladimir Poutine ».