L'UE annonce une mission civile en Moldavie, confrontée à des pressions russes — Genève Vision, un nouveau point de vue

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Un an plus tard, l’angoisse est passée, car les Russes n’ont pas franchi la frontière moldave, ni fait la jonction avec leurs troupes situées depuis une trentaine d’années sur le territoire moldave dans la région sécessionniste de Transnistrie. Mais l’incertitude demeure et le peuple craint une déstabilisation économique et politique du pays.

La Moldavie est le pays qui a accueilli le plus grand nombre de réfugiés ukrainiens au prorata de sa population, faisant preuve d’une grande solidarité, mais cela n’est pas sans conséquences sur l’économie locale. Il y a aussi l’inflation ou encore le chantage gazier de Moscou, le Kremlin ayant commencé à faire pression à travers l’arme du gaz en 2021, lorsque l’actuelle présidente moldave pro-européenne Maia Sandu était déjà au pouvoir.

Des tentatives de déstabilisation

Les tentatives de déstabilisation de la part de la Russie seraient multiples, selon le gouvernement moldave. En février, les autorités ont parlé officiellement d’une tentative de coup d’Etat de la part de Moscou. Selon la présidente Maïa Sandu, ce plan présumé prévoyait des attaques d’édifices étatiques et des prises d’otages par des saboteurs au passé militaire, camouflés en civil.

« Nous avons dû prendre différentes mesures, y compris en refusant l’entrée sur notre territoire à certains individus de pays étrangers », précise à la RTS Stela Leuca, vice-ministre des Affaires étrangères de Moldavie.

Selon différents experts, la Russie chercherait à instiller chez les Moldaves la défiance envers le gouvernement actuel. Depuis des mois, le parti pro-russe Shor organise des manifestations pour demander le départ de Maïa Sandu. « Notre gouvernement est totalement incompétent. L’inflation dans le pays a atteint 30% l’année dernière, le plus haut niveau en Europe. La présidente dit que c’est la guerre en Ukraine qui a causé cette situation économique, mais d’autres pays frontaliers de l’Ukraine – la Roumanie, la Pologne – ont connu une croissance l’an dernier », affirme Valery Klimenko, président d’honneur du parti, mercredi dans La Matinale de la RTS. En réalité, la Moldavie fait face à des fragilités économiques propres à son pays, qui s’ajoutent à la crise gazière que la Russie a déclenchée.

Valery Klimenko, président d’honneur du parti pro-russe Shor en Moldavie. [Isabelle Cornaz – RTS]

Ce parti pro-russe est dirigé par Ilan Shor, un oligarque en fuite en Israël – dont il possède également la nationalité – condamné en Moldavie pour détournement de fonds. Le gouvernement moldave l’accuse d’être financé par Moscou et de payer des manifestants pour déstabiliser le pays et mettre en place un gouvernement favorable au Kremlin. Valery Klimenko réfute ces accusations et répond que le leader vient en aide à des gens qui n’ont pas les moyens de se rendre dans la capitale pour « exprimer leur mécontentement ».

« Nos reporters se sont infiltrés dans ces manifestations et ont des preuves que ce n’est pas seulement le bus que Shor paie à ces gens », affirme de son côté Alina Radu, qui dirige le journal d’investigation Ziarul de Garda. « Notre dernier article montre comment le parti enrôle des étudiants sur des groupes de discussion en ligne. On dit à ces jeunes quand venir, combien ils seront payés et ce qu’ils doivent faire. A la suite de nos révélations, la police a ouvert des enquêtes et a trouvé de grandes sommes d’argent en cash chez les leaders du parti. »

Mais les enquêtes n’avancent pas aussi vite que le souhaiterait Valeriu Pasa, politologue qui soutient le gouvernement actuel. « La police transmet сes informations, certains procureurs s’en saisissent. Mais une partie d’entre eux sont incompétents, d’autres tout simplement corrompus. Le pouvoir judiciaire est notre grand point faible, il reste corrompu, fidèle aux oligarques et au précédent gouvernement », avance-t-elle.

En faveur d’une adhésion à l’UE, réticents sur l’Otan

Selon les sondages, un peu plus de la moitié de la population moldave souhaite rejoindre l’Union européenne (UE). « 58% sont pour, alors qu’ils n’étaient que 48% encore en octobre de l’année dernière », précise Valeriu Pasa.

Près de 30% de la population travaille ou vit à l’étranger, principalement dans les pays européens, en raison d’une situation économique difficile en Moldavie. Ce sont majoritairement ces personnes qui ont voté pour la présidente pro-européenne Maïa Sandu. Et si certains Moldaves accusent les Occidentaux d’avoir déclenché la guerre en Ukraine, cela ne les empêche pas pour autant de vouloir adhérer à l’UE.

En revanche, un rapprochement avec le monde occidental au sens large divise davantage la population, notamment sur la question de l’Otan. Cela s’explique par l’impact de la rhétorique russe à travers les chaînes de télévision ou le passé soviétique du pays, encore bien présents. « Nous sommes conscients qu’il n’y pas de consensus pour une adhésion à l’Otan aujourd’hui », reconnaît la vice-ministre moldave des Affaires étrangères Stela Leuca.

Ecouter aussi les précisions sur la future mission civile de l’UE dans Forum: Menaces russes: l’UE annonce une mission civile de deux ans en Moldavie

Sujets radio: Isabelle Cornaz

Adaptation web: Julie Marty/iar

La guerre en Ukraine, un autre sujet qui divise

Concernant la guerre en Ukraine, une partie importante des Moldaves soutient ses voisins victimes de l’agression. Chez certains intellectuels moldaves, cela passe par un rejet de la langue russe, encore largement présente en Moldavie, bien que la langue officielle soit le roumain. D’autres citoyens estiment que l’attitude du pouvoir ukrainien est la raison pour laquelle la Russie a dû se résoudre à mener cette guerre.

La figure de Vladimir Poutine reste populaire en Moldavie, même si cette tendance s’affaiblit: les avis favorables envers le président russe sont passés de 60% environ à un peu plus de 30% depuis le début de l’offensive, note l’expert Valeriu Pasa. Cela reste toutefois supérieur à la cote de popularité en Moldavie du président ukrainien Volodymr Zelensky ou de son homologue américain Joe Biden.

Le pouvoir moldave a par ailleurs suspendu la diffusion de certaines chaînes russes d’information pour lutter contre la propagande, mais celles-ci sont toujours accessibles sur internet.