L’ours Paddington ne fait pas de politique

10 juin 2022

La Reine soleil est apparue. Quelques instants, au balcon du Palais, et ce fut l’explosion de joie. Le bleu pastel, le turquoise ou le vert éclatant ont produit leur effet. L’apparition fut brève, on a donc vite capté l’essentiel : les couleurs, les broches, le chapeau. Mais la plus grande surprise ce fut le tea time partagé avec l’ours Paddington. Une vidéo enregistrée, présentée en ouverture du Concert du Jubilé où la Reine prend le thé avec la célèbre peluche.

Un Paddington bon enfant foulant toutes les règles de la bienséance victorienne, buvant à même la théière, écrasant le cake et l’éclaboussant alentour, au grand amusement de la reine. La voilà qui sort de son sac un sandwich à la marmelade, et tambourine sur une tasse avec sa cuillère les premières notes de « We Will Rock You » du groupe Queen. « Oh my God ! » Les conventions sont délicieusement transgressées. Mais c’est tellement bon.

AP/Victoria Jones

La Reine n’a pas de pouvoir, mais elle a de l’humour. On aurait dû se méfier. En 2012, elle nous avait fait croire qu’elle sautait en parachute avec James Bond. À l’évidence, les célébrités de fiction l’inspirent. Comme si elles étaient les seules à pouvoir se hisser à sa hauteur. Il est vrai que les 70 ans de règne lui confèrent d’ores et déjà le statut historique.

Le Royaume-Uni fait la fête dans une euphorie étrange à nos yeux républicains. On sourit à tant de gentillesse, de bienveillance joyeuse. Tout le monde adore sa grand-mère bien sûr. On brûle d’être gentils à notre tour. Toute ironie nous ferait passer pour des méchants.

Une telle popularité interroge. La durée exceptionnelle du règne l’explique pour beaucoup. Les Anglais ont besoin de repères stables et la royauté les leur offre volontiers. Dans le monde « hors de ses gonds » pour reprendre Shakespeare, elle incarne la stabilité du système. Tout fout le camp, hors la Couronne.

La parenthèse enchantée fait oublier, 4 jours durant, les affres du Brexit, qui divise le royaume, les frasques de « Bojo », tiens, sifflé à la cathédrale Saint-Paul, les retombées du « Partygate », le vote de défiance, les scandales royaux, et les envies de sécession de l’Écosse ou du Pays de Galles.

Les Britanniques se réjouissent. Ne devraient-ils pas plutôt s’inquiéter ? Que la seule star du moment soit la reine n’est pas vraiment une bonne nouvelle. Elle n’a pas de vrai pouvoir temporel, pas de responsabilité politique. Le discours du trône détaillant le programme du gouvernement est rédigé par Downing Street.

L’ours Paddington ne fait pas de politique. Il n’y avait donc pas de risque à boire le thé avec lui, et tenter l’interdit.

Comment rester populaire dans un pays en colère ? En ne touchant pas aux affaires publiques, en n’y participant pas ? Rien de très noble dans cette attitude distante. La Reine s’est trop souvent tue, elle n’a rien dit sur le Brexit. Elle a le mérite, jugé incommensurable, d’être là. La conduite des affaires requiert des trésors d’intelligence et d’équilibre, des ressources inépuisables, une résistance à toute épreuve. La Reine, elle, paraît, apparaît, et c’est l’essentiel pour les Britanniques.

Le Royaume-Uni se cherche un destin hors de l’Europe. Il s’embarque avec les États-Unis mais ne se voit offrir qu’un strapontin. Il se coltine avec les Européens, ses vrais amis en fait, mais peine à les apprécier. Il constate l’erreur du Brexit, mais l’orgueil lui interdit de le reconnaître. Habiter sur une île, c’est peut-être original. Mais ce n’est pas encore un projet.

L’ours Paddington ne fait pas de politique. Il n’y avait donc pas de risque à boire le thé avec lui, et tenter l’interdit. Une peluche en guise de doudou, ce fut le cadeau de la Reine.

André Crettenand