L'influenceuse suisse Nathalie Yamb menacée de mort pour son soutien à la Russie — Genève Vision, un nouveau point de vue

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Plus connue sous le pseudonyme de « La Dame de Sochi », elle s’est faite remarquer avec des vidéos très critiques envers la France, réalisées en grande partie depuis son appartement de Zoug. Elle y dénonce notamment la présence des militaires français en Afrique, des messages largement plébiscités par ses fans sur les réseaux sociaux.

Mais depuis quelques mois, les critiques se font plus nombreuses et son quotidien est bouleversé. Des courriers anonymes ont été déposés dans sa boîte aux lettres, assortis de menaces claires: « Cette femme est instrumentalisée par Moscou […] Elle habite dans votre immeuble, elle vous met en danger. Mobilisons-nous pour qu’elle quitte la ville! »

Souverainisme panafricain

L’influenceuse a déposé plainte à son commissariat le 16 mai 2022 pour se protéger. « Je sais que je suis suivie et que ce n’est pas avec de bonnes intentions puisque les lettres disent qu’il s’agit de me tuer, de tuer mon fils, de s’attaquer à ma famille. J’ai une de mes tantes qui a également reçu des lettres », explique Nathalie Yamb.

Depuis plus de dix ans, elle se bat pour la souveraineté du continent africain et dénonce avec virulence toute forme de colonialisme. Mais ses tweets et multiples prises de position pro-russes interrogent. La Suissesse est-elle une influenceuse pro-Poutine, payée pour diffuser et relayer du contenu? C’est en tout cas ce que pensent les administrations américaines et françaises.

Interdite de séjour en France

En septembre dernier, Nathalie Yamb a vu ses comptes bancaires fermés du jour au lendemain à la Raiffeisen et a appris par la presse qu’elle était persona non grata en France. La Suissesse fait l’objet d’une interdiction de territoire, émise par le ministère de l’Intérieur.

La RTS a pu consulter un extrait de cette décision administrative mentionnant que Nathalie Yamb « cautionne voire encourage le recours à la violence contre les symboles de la présence française en Afrique » et tient des « propos virulents susceptibles de favoriser l’entrisme des puissances étrangères hostiles à la France ».

La youtubeuse, star du mouvement panafricain, est accusée par Paris d’utiliser son influence sur les réseaux sociaux pour favoriser l’implantation de la Russie et du groupe paramilitaire Wagner en Afrique.

Interrogée par l’émission de la RTS Temps Présent à ce sujet, Nathalie Yamb affirme n’avoir jamais reçu de notification de la France et remet en doute la véracité du document. « J’ai du mal à croire que ce soit un document officiel. C’est rempli de ragots […] Je n’ai jamais appelé à la violence contre qui que ce soit. S’il s’agit de dire que j’envoie des gens pour casser des ambassades, pour tuer des Français, c’est complètement hors sol », explique-t-elle.

Dans l’une de ses vidéos publiée sur Youtube, l’influenceuse exprime toutefois un avis différent. « Chaque soldat français qui tombe en Afrique, c’est un ennemi qui tombe », peut-on notamment l’entendre dire.

Contacté par l’émission Temps Présent, le ministère de l’Intérieur français n’a de son côté pas souhaité transmettre la copie intégrale du document, ni justifier les raisons de son interdiction, mais l’ambassade de France en Suisse confirme que Nathalie Yamb fait bien « l’objet d’une interdiction administrative de séjour sur le territoire français ».

L’influenceuse de Wagner ?

La France n’est d’ailleurs pas la seule à s’inquiéter des vidéos postées par Nathalie Yamb. En novembre 2022, le Département d’Etat américain épingle lui aussi l’influenceuse, l’accusant d’être « une colporteuse très prolifique de désinformation » en Afrique et « un maillon essentiel de la galaxie d’Evgueni Prigojine », nom du fondateur du groupe paramilitaire Wagner, classé organisation criminelle par les Etats-Unis.

Mais sur quelles preuves se basent les Etats-Unis? La RTS n’a obtenu aucune réponse de Washington. Comment la Suissesse a-t-elle pu se retrouver liée à l’un des hommes considérés comme les plus dangereux du monde?

Grâce à des documents obtenus et analysés par l’ONG Dossier Center, basée à Londres, la RTS a découvert que Nathalie Yamb avait en effet participé comme experte à des conférences organisées par une association appelée AFRIC (Association for Free Research and International Cooperation).

Sur internet, on retrouve des photos de Nathalie Yamb lors de conférences organisées par l’association AFRIC en Allemagne et en Russie, posant aux côtés d’Alexander Malkevitch et Yulia Berg, tous deux sous sanctions pour avoir interféré dans des élections en Afrique ou même lors des présidentielles américaines de 2016.

L’influenceuse Nathalie Yamb (au centre), avec toute à sa droite Yulia Berg et derrière elle, à sa gauche, Alexander Malkevitch. [RTS – Afric]

Cette association est placée sous sanctions américaines depuis 2021, car elle est considérée comme une « société écran » pour les opérations d’influence menées par le patron de Wagner en Afrique. Selon les documents obtenus par l’ONG, AFRIC paie des experts en cryptomonnaie pour publier des informations favorables à la Russie, mais il n’y a aucun moyen de remonter la trace de ces financements.

« Quand on parle de drapeaux rouges, ce sont d’importants signaux. Si vous décidez de participer comme experte dans ces conférences, ce sont des signaux à prendre en considération, parce que c’est votre réputation qui est en jeu. Et cela s’applique à Nathalie Yamb », décrypte Maria, l’une des analystes du Dossier Center.

« Si Prigojine veut me financer, je n’ai aucun état d’âme »

Interrogée par la RTS, Nathalie Yamb dément catégoriquement tout financement par l’association AFRIC ou le groupe Wagner et, selon elle, la présence de son passeport et de lettres d’invitation à son nom ne prouve rien. « Je vais partout où on m’invite pour parler de l’Afrique. Je ne me mets pas à chercher si tel pays ou si telle association est sous sanction », déclare-t-elle. Nathalie Yamb explique être financée par les dons réguliers de ses abonnés et vivre des investissements qu’elle a réalisés dans le passé.

Pour Wadji Baccouche, directeur de l’agence de marketing digital Eminence, basée à Genève, même si Nathalie Yamb a un fort taux d’engagement sur les réseaux sociaux, cela ne lui permet pas d’en tirer des revenus substantiels: « Elle a une communauté fidèle et loyale qui commente et partage tous ses contenus. Sur Youtube, chacune de ses vidéos peut lui rapporter entre 600 et 700 francs », analyse le directeur de l’agence.

« Sur Twitter, elle peut gagner entre 1600 et 2700 francs si elle accepte de collaborer avec une marque, et sur Instagram entre 550 et 950 francs par post », ajoute-t-il, mais l’influenceuse ne recourt pas à ce type de sponsoring.

Alors d’où vient son argent? Avec une pointe d’ironie, Nathalie Yamb déclare sans détour: « Je n’ai jamais été financée ni par AFRIC, ni par Wagner, ni par Monsieur Poutine. Maintenant, je lis partout que je suis financée alors je lance un appel ici: si quelqu’un sait où est le compte où arrivent ces financements, je suis preneuse! J’ai une lutte à financer […] Si Monsieur Prigogine pense qu’il doit me financer, donnez-moi le compte en banque. Honnêtement, moi je prendrais l’argent d’où qu’il vienne. Je n’ai aucun état d’âme. Moi, j’ai plus de mal avec l’armée française aujourd’hui qu’avec Wagner. »

Nouvelle invitation en Russie

Le 19 mars dernier, Nathalie Yamb s’est de nouveau rendue à Moscou à l’occasion de la conférence parlementaire Russie-Afrique pour y délivrer un discours et appeler à un « nouvel ordre mondial ».

Le but de cette conférence était de préparer le prochain sommet Russie-Afrique programmé en juillet 2023 à St-Petersbourg. L’activiste suisse en a profité pour donner une interview au média russe Sputnik, considéré comme un canal de propagande et de désinformation de la Fédération de Russie et interdit par l’Union européenne.

Faux followers et fausses informations

Nathalie Yamb assure que toutes ses publications sont sourcées et documentées et qu’elle n’a jamais été remise en cause sur le fond ni attaquée en justice pour de fausses informations.

Mais il ne faut pas chercher très longtemps pour découvrir des tweets mensongers, comme un messageposté en pleine Coupe du Monde du Qatar et partagé plus de 600 fois, dans lequel elle affirme que l’équipe allemande n’a pas pu atterrir à Doha à cause d’un « logo gay » affiché sur son avion, une rumeur depuis largement démentie.

Les occidentaux savent parfaitement que l’Ukraine est truffée de néonazis. Ça ne les gêne pas plus que cela. Ce sont les mêmes pays occidentaux qui s’abstiennent lorsque qu’une résolution est présentée à l’ONU pour interdire la glorification du nazisme, néonazisme, xénophobie

— Nathalie Yamb (@Nath_Yamb) May 21, 2022

L’exemple pourrait paraître anecdotique, mais il n’est pas le seul. Dès le début de la guerre en Ukraine, Nathalie Yamb publie des messages reprenant largement les arguments du Kremlin, affirmant notamment que « les Occidentaux savent parfaitement que l’Ukraine est truffée de néonazis » ou encore remettant en cause la véracité du massacre de Boutcha.

Dans un tweet  dédiabolisant le groupe Wagner, Nathalie Yamb reprend mot pour mot les arguments postés quelques heures plutôt par la chaîne Telegram Rybar, réputée proche de Wagner.

Si les français hurlent tant quand des États africains font appel à l’expertise militaire qui leur convient, c’est peut-être parce que c’est du business qui n’ira pas dans les caisses de DCI, détenue à 50 % par l’État 🇫🇷 et contrôlée par la DGSE et le ministère des armées? pic.twitter.com/ce8cDfBS9I

— Nathalie Yamb (@Nath_Yamb) November 27, 2022

L’analyse des abonnés de Nathalie Yamb sur Twitter réalisée par la RTS montre par ailleurs un taux important de faux abonnés, dont les comptes ont été générés automatiquement par des robots et qui repartagent systématiquement tous les messages postés par Nathalie Yamb.

La pratique est toutefois très fréquente et n’implique pas forcément un soutien logistique de la Russie. « Aujourd’hui, dans le domaine de l’influence, le fake devient une réalité. En gros, on peut tout acheter: des followers, des engagements, des likes, tout. Et on peut les acheter à des prix très dérisoires », rappelle Wadji Bacouche.

A la suite de signalements, le compte Twitter de la Suissesse a été suspendu à deux reprises et sa page Facebook a été démonétisée, comme celle de nombreuses personnalités politiques.

Malgré ces coups de semonce, Nathalie Yamb entend toutefois bien continuer son combat depuis la Suisse. L’influenceuse a encore gagné plusieurs milliers d’abonnés en quelques semaines et l’agence d’information Ecofin l’a classée parmi les 50 personnalités africaines inspirant le plus confiance.

Cécile Tran-Tien

Le soft power russe en Afrique

Isolé sur la scène internationale, le président russe Vladimir Poutine cherche à se faire de nouveaux alliés. L’Afrique est donc devenue la cible privilégiée de sa diplomatie d’influence.

« L’idée, c’est d’améliorer l’image de la Russie dans cette région, de propager sa culture et ses valeurs. Mais il y a aussi des pratiques plus subversives comme par exemple des actions en ligne qui peuvent être menées pour dénigrer certains acteurs comme la France », analyse Maxime Audinet, chercheur à l’IRSEM.

Pour se déployer sur le continent africain, le groupe paramilitaire Wagner utilise par exemple une arme simple: les réseaux sociaux. Pour le chercheur, les acteurs du groupe Wagner cherchent « à interagir, à coopérer, voire parfois à coopter des figures militantes, des activistes, des influenceurs et des journalistes ».

Expulsée de Côte d’Ivoire vers la Suisse

En décembre 2019, Nathalie Yamb a été expulsée de Côte d’Ivoire pour des activités politiques jugées incompatibles avec l’intérêt national.

A l’époque, elle était très active dans le parti LIDER et soutenait l’opposant Mamadou Koulibaly, ancien ministre des Finances et ancien président de l’Assemblée nationale ivoirienne.

« Le jour de mon expulsion, je me suis rendue à la préfecture de police de mon plein gré. J’ai été détenue et interrogée sans relâche. On ne m’a pas donné à manger, ni à boire pendant 12 heures », raconte Nathalie Yamb. « Le soir, on m’a faite entrer dans une voiture […] J’ai compris que c’était soit la prison, soit l’expulsion. »

L’activiste a finalement été mise de force dans un avion à destination de Zurich.