L’inaction des autorités en Iran face aux empoisonnements dans les écoles — Genève Vision, un nouveau point de vue

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Depuis fin novembre dernier, de nombreuses écoles, en majorité fréquentées par des filles, sont touchées par des intoxications soudaines causées par des gaz ou des substances toxiques, provoquant des malaises et des évanouissements, parfois suivis d’hospitalisations.

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Et la peur semble s’installer dans certaines provinces. Beaucoup de vidéos en ce sens circulent en tout cas sur les réseaux sociaux.

Dans l’une d’elles, tournée il y a deux jours dans la ville de Shainshar (centre), une jeune fille explique qu’après avoir subi une intoxication au gaz dans son école, la plupart des élèves se sont assises dans la cour en proie à des malaises et des nausées. Elles n’ont pas eu l’autorisation de sortir de l’établissement avant l’arrivée d’une ambulance une heure plus tard.

Une enseignante en exil

Selon une enseignante qui a quitté le pays et parle sous un nom d’emprunt, les autorités interdisent au personnel soignant de communiquer le résultat de leurs analyses, bien que des centaines de nouveaux cas aient été signalés dans plusieurs villes.

« Beaucoup d’écoles ont été attaquées mais personne, à notre connaissance, n’a été arrêté récemment », témoigne-t-elle vendredi dans l’émission Tout un monde de la RTS. « Il y a trois jours à Saquaz, la ville de Mahsa Amini, il y a eu plusieurs intoxications, ce qui a provoqué des manifestations et des grèves, des magasins et des marchés ont fermé. Mais nous n’avons aucune nouvelle sur un éventuel arrêt de ces attaques », précise-t-elle.

Du coup, le climat de peur gagne les enseignants et les familles un peu partout en Iran. « Les personnes travaillant dans les établissements qui n’ont pas encore été touchés sont très inquiètes. Il y a les enseignants, les écolières, dont certaines ne veulent plus aller en classe, les directeurs… Tous sont très préoccupés par la situation actuelle », raconte encore l’enseignante. « Nous pensons que c’est une vengeance du gouvernement contre les jeunes filles qui ont protesté », ajoute-t-elle. « Il veut semer la peur et les dissuader de manifester à nouveau ».

Des milliers d’intoxications en plus de quatre mois

Beaucoup d’activistes sont du même avis, mais il est difficile d’avoir des informations précises. Le régime reste dans le flou, même s’il a admis que les attaques sont systématiques. Un bilan officiel du 7 mars faisait état de plus de 5000 intoxications au gaz dans plus de 230 établissements de 25 provinces et le guide suprême Ali Khamenei avait annoncé des arrestations et des peines sévères pour les coupables. Mais depuis, le gouvernement se tait.

Leila Alikarami

Pour Leila Alikarami, avocate iranienne basée à Londres, cette attitude est inacceptable. « La première intoxication dans une école en Iran a été notifiée le 13 novembre dernier », rappelle-t-elle. « Depuis cette date, le nombre de personnes empoisonnées et d’écoles touchées est impressionnant. On se demande vraiment pourquoi le gouvernement n’a pas réussi à stopper ces attaques et identifier qui les a menées. Il est entièrement responsable de cette inaction », accuse-t-elle.

Et si le gouvernement iranien se tait sur les intoxications, il est en revanche très verbal sur le port du hijab. Il a annoncé la semaine dernière l’installation de caméras dans les lieux publics et exhorte les citoyens à s’en prendre aux femmes non voilées, toujours plus nombreuses. Des lois sont également en cours de révision.

Lire: En Iran, les femmes non voilées seront identifiées par des caméras de surveillance

« L’une d’entre elles concerne la cour criminelle, où l’on veut adjoindre des articles concernant le hidjab avec comme sanction possible pour les femmes de ne plus pouvoir voyager ou pratiquer certaines professions, comme celle d’avocat », détaille Leila Alikarami.

« Une autre loi doit passer devant le parlement iranien », poursuit-elle. « Il était question, au début, de supprimer la condamnation d’emprisonnement pour non-port du voile. Mais en réalité c’est le contraire qui est train de se passer, il est prévu maintenant d’y ajouter d’autres sanctions ».

Le régime des mollahs veut aussi étendre les amendes aux gérants des magasins, restaurants et entreprises qui ne feraient pas respecter ces normes fondamentales, ce qui mettrait encore plus en péril l’économie du pays selon l’avocate.

Une réalité cachée derrière les discours

Mais ces lois vont-elles véritablement entrer en vigueur, compte-tenu de la situation? Pour Bernard Hourcade, ancien directeur de recherche au CNRS en France, l’alternance entre conservateurs et réformistes en Iran a fait place à une bataille rangée entre factions radicales qui se côtoient depuis 40 ans et qui sont restées seules au pouvoir.

Bernard Hourcade

« Les discours officiels sont extrêmement virulents, véhéments, sur le voile, sur les relations internationales, sur Israël, sur les Etats-Unis », dit-il. Mais ces discours cachent en fait une réalité: « Il y a une opposition intérieure chez les plus radicaux, pour sauver les meubles. L’Iran travers des crises économiques gravissimes, des crises internationales qui changent beaucoup de choses, une crise intérieure avec le hijab qui n’est pas le pire des problèmes », souligne le géographe.

La société iranienne est en pleine effervescence et le gouvernement ne sait pas où aller. « Donc il fait des discours très classiques, très véhéments », poursuit-il, « en promettant l’ordre, en promettant des sanctions, parce que justement, à l’intérieur, certains disent que cette solution n’est pas la bonne ».

Un gouvernement paralysé par les crises

A propos des intoxications dans les écoles, Bernard Hourcade avance les mêmes hypothèses: « On peut imaginer que ces empoisonnements sont le fait de groupes extrêmement radicaux, qui veulent maintenir l’instabilité intérieure en Iran », analyse-t-il. Mais est-ce le fait du gouvernement? Est-ce le fait de groupes extrémistes? « Toutes les hypothèses sont permises. Mais il faut bien savoir que le gouvernement iranien est aujourd’hui paralysé. Et cette paralysie est très négative pour la population iranienne ».

Celle-ci exprime son profond mécontentement dans des manifestations sporadiques mais nombreuses. Le chercheur français pense que le régime des mollahs n’a plus les moyens de réprimer comme avant et l’inflation galopante pourrait le fragiliser encore plus. C’est pour cela que le récent rapprochement avec l’Arabie Saoudite, sous l’égide de la Chine, montre qu’il sait être pragmatique quand il le faut.

Francesca Argiroffo/oang