L'impensable, suite — Genève Vision, un nouveau point de vue

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Sa décision de ne pas procéder à la conscription semble obéir à un même souci d’apaiser une première crispation dans la société russe. Il interdit aux médias d’employer le mot guerre. Il menace jusqu’à 15 ans de prison.

Poutine aurait-il peur ? Drôle de question. Mais le politologue Bertrand Badie disait cette semaine au micro de RTS La Première que le président craignait de finir comme Kadhafi. Tous les dictateurs connaissent une fin, pas toujours sereine. Souvent renversés, parfois jugés, emprisonnés. Il se pourrait que Poutine ait peur de son peuple, qu’il se méfie davantage encore de son entourage.

Il est vrai que beaucoup le voient, enfin, différemment. Emmanuel Macron qui est celui qui l’a le plus courtisé en fait l’amère expérience. Refusant de le désigner dictateur afin de préserver un étroit canal de discussion, il dénonce désormais le cynisme du personnage qui propose aux Ukrainiens des couloirs humanitaires vers la Russie et la Biélorussie, et qui ne cesse de l’humilier.

Cet espoir d’un changement de régime à Moscou, qui est dans beaucoup de têtes, est sans doute vain. Mais on s’y raccroche, faute de mieux.

Car la guerre pourrait être longue. Même si Kiev devait tomber, même si l’ouest du pays était envahi, la résistance ne s’éteindrait pas. Elle serait guérilla, il y aurait un gouvernement en exil.

Une guerre longue, et douloureuse. Aujourd’hui, ce sont les gestes héroïques, les exploits d’un jour, le drapeau au vent, les civils dans les tranchées, les femmes au front, qui prévalent, et qui nous éblouissent et nous rassurent un peu malgré l’horreur. Les magnifiques élans de solidarité partout en Europe nous aident à vivre le moment. A l’euphorie romantique va succéder une lourde désillusion : les images de destruction, les victimes innombrables, le flot grandissant des réfugiés, les villes en ruine, les hôpitaux bombardés, les blessés, les morts, les crimes.

Des questions lancinantes surgissent. Pourquoi avoir tant tardé à fournir armes et munitions ? Pourquoi avoir refusé la « no fly zone » demandée par les Ukrainiens ? La crainte d’une troisième Guerre mondiale, très vite agitée, était-elle justifiée ? A-t-on surévalué le risque d’un embrasement ? Le danger n’est-il pas plus grand avec une Russie conquérante et maîtresse du territoire ukrainien ?

Alors, les paroles du président Zelensky résonneront lourdes de reproches : « Si vous ne le faites pas, il ne peut y avoir qu’une seule conclusion : vous voulez aussi que nous soyons tués ».

Relire l’histoire à la lumière de l’invasion

Nous n’avons pas les réponses, ou plutôt nous ne sommes ni fiers ni heureux de nos réponses. Honnêtement, nous voudrions des réponses qui ne provoquent pas trop de conséquences désastreuses pour nous. Ne pas avoir froid, et ne pas payer trop cher notre essence. Quelqu’un a dit que si l’Ukraine était tombée en trois jours, nous serions déjà passés à autre chose. Il a raison. Comme après l’Abkhazie, l’Ossétie du Sud, la Transnistrie, la Crimée. Nous avons été aveugles ou froids. Nous relisons l’histoire récente à la lumière de l’invasion.

La résistance héroïque des Ukrainiens a tout changé. Elle nous renvoie à notre propre impuissance. Demain, s’y ajoutera un sentiment d’échec, de tristesse, et de honte.

André Crettenand