Les sanctions se multiplient contre Moscou après la reconnaissance des séparatistes — Genève Vision, un nouveau point de vue

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La crise, qui inquiète l’Europe depuis des mois, a pris une autre ampleur avec la reconnaissance par Vladimir Poutine lundi de l’indépendance des régions séparatistes prorusses de Donetsk et de Lougansk, dans l’est de l’Ukraine, et ce pour l’ensemble de leur territoire et non uniquement pour la partie actuellement sous le contrôle des rebelles.

Sourd aux critiques, le Parlement russe a approuvé comme un seul homme mardi les accords signés la veille par le président avec les séparatistes qui combattent les forces de Kiev depuis 2014. Le Sénat a également accédé mardi soir à la demande de Vladimir Poutine d’autoriser l’envoi de militaires russes à l’étranger, qui doivent venir en soutien aux séparatistes prorusses de l’est de l’Ukraine.

La situation minute par minute: Le Sénat russe approuve le déploiement de soldats en soutien aux séparatistes ukrainiens

Nord Stream 2 stoppé

Des Etats-Unis à l’Union européenne (UE), la décision russe a été largement condamnée par le camp occidental. Joignant le geste à la parole, le chancelier allemand Olaf Scholz a annoncé la « suspension » du processus d’autorisation du gazoduc Nord Stream 2, dont la mise en service apparaît très hypothétique désormais. Washington, qui avait multiplié les pressions sur Berlin, a salué cette décision.

Pour le chercheur associé à l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques Jean-Vincent Brisset, invité mardi dans Forum, « les populations des pays occidentaux, Etats-Unis non compris, auraient beaucoup à souffrir de restrictions d’approvisionnement de gaz russe ». Selon lui, la Russie est prête à se priver du non-paiement de ses exportations de gaz, car cette situation créerait « la zizanie » en Occident et provoquerait des protestations populaires.

Le Premier ministre britannique Boris Johnson a de son côté annoncé des sanctions visant trois oligarques proches du Kremlin et cinq banques russes, des mesures a minima pour Londres, la place forte financière des grandes fortunes russes.

L’UE vise les députés russes

Les Vingt-Sept Etats-membres de l’UE ont approuvé mardi un « paquet de sanctions » à « l’unanimité » contre la Russie. Ces sanctions « feront très mal à la Russie », a déclaré le chef de la diplomatie de l’UE Josep Borrell, en précisant que le gel d’avoirs et l’interdiction de visas viseront notamment les 351 députés russes de la Douma qui ont approuvé la reconnaissance de l’indépendance des territoires séparatistes.

Josep Borrell a par ailleurs souligné que les pays membres de l’UE avaient décidé de garder « d’autres munitions […] pour répondre à de nouvelles actions de la part de la Russie », car « l’histoire n’est pas finie ». « Cette fermeté laisse toujours la porte ouverte à la diplomatie », a ajouté le chef de la diplomatie française Jean-Yves Le Drian, tout en constatant que « tous les efforts diplomatiques […] se sont heurtés à un mur » ces dernières semaines.

La Finlande a de son côté annoncé mardi qu’elle allait mener une nouvelle « évaluation des risques » pour un projet de réacteur nucléaire associant le groupe russe Rosatom dans le nord du pays nordique suite à l’aggravation de la crise en Ukraine. Cette décision visant le projet, porté depuis plusieurs années par la société finno-russe Fennovoima, a été proposée par le ministère finlandais de la Défense.

La Maison Blanche, qui a interdit toute transaction par des personnes américaines avec les régions séparatistes, devrait aussi décider de son côté de sanctions. Le président Joe Biden doit s’exprimer mardi à 19h (heure suisse) sur le sujet.

« Lourds impacts » possibles

Ces mesures restent pour l’instant modestes par rapport à celles promises en cas d’invasion d’ampleur. Les Occidentaux semblent attendre de voir comment évoluera la situation. Mais les sanctions déjà annoncées pourraient avoir des conséquences importantes.

« L’économie russe est très tributaire des exportations européennes, notamment en ce qui concerne l’équipement industriel, le secteur pharmaceutique ou l’automobile. Ce sont des besoins que la Russie ne peut pas satisfaire, donc ce type de sanctions pourrait avoir de lourds impacts », a affirmé dans Forum Arthur Jurus, stratégiste au sein de la banque privée ODDO BHF.

iar avec agences

Des sanctions pas encore à l’ordre du jour en Suisse

Berne a fermement condamné les violations russes du territoire ukrainien. Des sanctions ne sont en revanche pas encore à l’ordre du jour. Le Conseil fédéral doit se pencher sur la question mercredi.

« L’escalade des tensions à la frontière russo-ukrainienne est très inquiétante », a souligné mardi Livia Leu, secrétaire d’Etat du Département fédéral des affaires étrangères (DFAE). Mais pour le moment, Berne n’envisage pas de prendre des sanctions. « Cela n’a pas beaucoup de sens pour un petit acteur d’en prendre de manière unilatérale », a pointé la secrétaire d’Etat. Si l’Union européenne ou les Etats-Unis en prenaient, le Conseil fédéral évaluerait la situation et déciderait en conséquence.

Membre de l’ONU, la Suisse doit reprendre ses sanctions. Il est toutefois impossible que le Conseil de sécurité, dont la Russie est un membre permanent, s’en prenne à Moscou. Le camp occidental pourrait en revanche passer à l’action. La Suisse serait libre de suivre ou pas.

Les partis demandent d’agir

Dans un communiqué diffusé mardi, les Verts disent attendre de la Suisse un engagement diplomatique intense. Le parti regrette la « passivité du Conseil fédéral jusqu’ici ». La situation doit être traitée dans le cadre du multilatéralisme et non par des négociations bilatérales menées par divers pays de l’UE et les Etats-Unis, avec des déclarations unilatérales répétées.

Le PS, qui veut éviter une nouvelle escalade du conflit, dénonce une « violation flagrante du droit international ». Il appelle toutes les parties à des négociations. Au chapitre des sanctions, la Suisse ne doit pas s’en tenir à de simples déclarations et doit s’associer sans réserve aux mesures de l’UE. Le Conseil fédéral doit par ailleurs prendre des mesures autonomes de révocation des permis de séjour et de blocage de fonds pour éviter que la Suisse ne soit utilisée abusivement par les autorités russes, ainsi que par les oligarques proches du Kremlin, estiment les socialistes.

La reconnaissance des territoires séparatistes par Moscou rompt les accords de Minsk et viole clairement le droit international, note le Centre. Le parti soutient des sanctions contre la Russie, qui doivent être coordonnées dans un cadre international. Il appartient au Conseil fédéral d’entreprendre les démarches nécessaires.

Crainte d’une expansion

Vladimir Poutine, qui dicte depuis le début le tempo, entretient le mystère sur ses intentions et a plusieurs options devant lui. Outre l’ampleur du déploiement des forces russes, une question cruciale sera celle des frontières des « républiques » séparatistes reconnues par Moscou: la ligne de front actuelle, ou bien les limites des régions administratives de Donetsk et de Lougansk définies par Kiev, bien plus vastes, que revendiquent les sécessionnistes?

Dans ce dernier cas, qui est celui vers lequel le pays a annoncé se diriger mardi après-midi, la Russie appuierait-elle militairement une expansion? Plusieurs hauts responsables russes ont fait des déclarations floues à ce sujet mardi. Dans les rues de Kiev, le geste de Moscou suscite de l’inquiétude. Le ministre ukrainien de la Défense Oleksiï Reznikov a par ailleurs prévenu que des « épreuves difficiles » attendaient l’Ukraine.

Kiev dément toute action offensive

Ajoutant aux craintes d’escalade, Vladimir Poutine a sommé lundi l’Ukraine de cesser ses « opérations militaires » ou d’assumer la poursuite des « effusions de sang », des déclarations aux accents menaçants. Sur la ligne de front, des tirs avaient toujours lieu, mais la situation semblait plus calme que la veille. Néanmoins, les séparatistes ont affirmé dans l’après-midi qu’un de leurs combattants avait été tué.

Kiev dément toute action offensive, accusant ses adversaires de propager de fausses informations visant à tenter de justifier une intervention russe.

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