„Les groupes extrémistes se sentent en position de force”, estime l'ambassadeur d'Afghanistan en Suisse — Genève Vision, un nouveau point de vue

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Interrogé vendredi dans Tout un monde, il estime que le retrait précipité des Etats-Unis est une erreur et que le chaos à Kaboul aura rapidement des conséquences, notamment sécuritaires, sur les démocraties occidentales.

« Les autres groupes extrémistes se sentent en position de force et vont devenir encore plus extrémistes », prédit celui qui est aussi à la tête de la mission permanente d’Afghanistan à l’ONU. « Laissez-moi vous donner un exemple historique. Le passé est toujours un bon guide pour comprendre le futur. Rappelez-vous ce qui s’est passé dans les années 1990 quand les Russes ont été battus en Afghanistan: c’est là que nous avons vu l’émergence d’Al-Qaïda, une mouvance qui s’est sentie portée par la victoire face à une superpuissance. »

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Période de turbulence

Les conséquences de ces événements des années 1990 ont été les attentats du 11 septembre, rappelle le diplomate. « Aujourd’hui, nous avons à nouveau ces deux composantes: le retrait des démocraties et un sentiment de puissance au sein des groupes extrémistes. Et maintenant je vous laisse deviner ce qui pourrait arriver à l’Europe et dans le reste du monde », énonce-t-il.

Les attentats à l’aéroport de Kaboul pourraient n’être que les prémisses d’une période de turbulences pour l’Afghanistan et le reste du monde, avance l’ambassadeur.

Sur son bureau à Genève, le drapeau afghan trône toujours, malgré le récent retournement de situation. Le 15 août, date de l’entrée des talibans dans Kaboul, un univers s’est écroulé pour Nasir Ahmad Andisha: les talibans ont pris le pouvoir, le gouvernement s’est effondré, le président a fui à l’étranger et ses chefs ont disparu sans donner de nouvelles.

« Nous avons échoué, pour tous ces gens en Afghanistan qui ont cru à un système égalitaire et démocratique », déplore le diplomate. « Quand les talibans sont entrés dans Kaboul, je me suis senti anéanti. Pendant vingt ans, nous avons essayé de donner une image d’un pays où les gens reçoivent une éducation, et où les conditions de vie s’améliorent. Et tout à coup, tout s’arrête à cause d’un groupe qui nous ramène plusieurs centaines d’années en arrière. J’ai éprouvé un sentiment de dévastation et d’échec. Et ça inclut aussi mon travail en tant qu’officiel. »

Le travail se poursuit

Ambassadeur sans gouvernement, Nasir Ahmad Andisha ne sait pas combien de temps il restera en poste. « Ce qui se passe à Kaboul a évidemment un impact ici. Mais l’ambassade continue de fonctionner. Nous pouvons encore tenir un ou deux mois sans être payés, et nous avons aussi commencé à réduire les coûts de fonctionnement du bureau », explique-t-il.

D’ici là, Nasir Ahmad Andisha continue de se rendre tous les matins à son bureau. « Je suis même plus actif qu’avant, car nous conseillons l’ONU et des organisations humanitaires sur la situation. Nos diplomates viennent au bureau et travaillent », précise-t-il.

Le diplomate n’a pas eu de contacts avec les talibans depuis la prise de Kaboul. Il reste en contact avec l’ancien gouvernement, et en l’absence du président Ashraf Ghani, qui a fui le pays, il répond à l’ancien vice-président Amrullah Saleh qui, lui, se cache avec l’opposition dans la vallée du Panchir. Mais si les islamistes forment un gouvernement, il y a peu de chance que Nasir Ahmad Andisha rentre un jour au pays.

Reportage radio: Raphaël Grand

Adaptation web: Katharina Kubicek