Les combats au Soudan font craindre une nouvelle grande crise migratoire — Genève Vision, un nouveau point de vue

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Les cinq millions d’habitants de Khartoum, eux, commencent une septième journée sous le fracas des raids aériens et des combats de rue. Des explosions et des tirs ont à nouveau secoué la ville aux premières heures, vendredi, de la fête de l’Aïd al-Fitr qui marque la fin du Ramadan et pour laquelle l’ONU avait espéré un répit pour les civils.

Dans la capitale, de nombreuses familles ont épuisé leurs dernières victuailles et n’ont plus ni électricité ni eau courante. Certaines se pressent sur les routes pour fuir, entre check-points des paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR) et de l’armée du général Burhane, et des cadavres qui jonchent les bords de route.

Plus de deux tiers des hôpitaux hors d’usage

L’armée de l’air, qui vise les bases et les positions des FSR disséminées dans les zones résidentielles, n’hésite pas à larguer des bombes, parfois au-dessus d’hôpitaux, ont témoigné des médecins. « Quelque 70% des 74 hôpitaux de Khartoum et des zones touchées par les combats ont été mis hors d’usage », selon leur syndicat. Bombardés, ils n’ont plus aucun stock pour opérer, ou bien des combattants en ont pris le contrôle, chassant médecins et blessés.

Le personnel humanitaire a en grande partie été forcé de suspendre son aide, cruciale dans un pays où plus d’un habitant sur trois souffre de la faim en temps normal.

Espoirs de cessez-le-feu déçus

Jeudi, les contacts diplomatiques s’étaient pourtant intensifiés: le général Abdel Fattah al-Burhane, chef de l’armée et chef de facto du Soudan depuis le putsch de 2021, avait annoncé avoir été contacté par des dirigeants régionaux – notamment sud-soudanais ou éthiopiens – et internationaux, comme le patron de l’ONU Antonio Guterres et le secrétaire d’Etat américain Antony Blinken.

Les paramilitaires du FSR, eux, avaient annoncé leur accord « pour une trêve de 72 heures » afin de donner un répit aux Soudanais toujours pris sous les feux croisés qui ont déjà fait plus de 330 morts. Mais le général Burhane, lors d’une allocution peu après à la télévision d’Etat, n’avait pas mentionné une quelconque trêve. Il a également assuré par téléphone à une télévision locale qu’il n’y aurait pas « de discussions politiques » avec son rival le général Daglo, dit « Hemedti »: soit il cesse de « vouloir contrôler le pays », soit il se fera « écraser militairement ».

Vincent Cherpillod avec ats et Cédric Guigon

Ecouter l’interview de Marc Lavergne dans « Tout un Monde »

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Voir la vidéo de l’UNICEF (Nations Unies) sur la situation catastrophique des enfants au Soudan

Une dégradation de la situation soudaine et inattendue

A la chute du dictateur Omar El bechir en 2019, rien ne laissait présager le développement d’une guerre civile au Soudan et d’une situation à même de pousser des milliers de Soudanais sur la route. Mais le coup d’Etat militaire a changé la donne.

« Avec la révolution, il y avait de l’espoir. Les Soudanais voulaient rester au Soudan, commencer à y construire une vie plus saine, plus fortunée, sans être obligés de partir en exil », a témoigné Azza Ahmed Abdelaziz ,chercheuse au Centre d’études et de documentation économiques, juridiques et sociales de Khartoum vendredi dans La Matinale de la RTS.

« La population voit qu’on s’éloigne du rêve d’un gouvernement entièrement civil »

D’autant plus que migrer est compliqué pour les jeunes Soudanais. « Il faut traverser des frontières hostiles, puis parfois la Méditerranée en bateau », souligne la chercheuse, pour qui les habitants étaient prêts à tenir le coup malgré la situation difficile dans le pays.

« Les choses ont basculé avec le coup d’Etat du 25 octobre 2021. La situation politique devient de plus en plus compliquée. La population voit qu’on s’éloigne du rêve ou de l’idéal d’un gouvernement entièrement civil », constate Azza Ahmed Abdelaziz. Et les affrontements meurtriers actuels risquent encore d’accélérer le départ de ceux qui gardaient encore un mince espoir de changement.

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