L'eau: une question de survie dans les zones en conflit — Genève Vision, un nouveau point de vue

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Le Forum mondial de l’eau a conclu sa neuvième édition la semaine dernière. Quelles sont les priorités et les questions urgentes qui ont en sont ressorties?

Pour moi, l’une des choses qui est vraiment ressortie est que tout le monde comprend désormais que c’est précisément dans les contextes fragiles et touchés par les conflits qu’il est le plus difficile de garantir l’accès à l’eau et à l’assainissement. Avant, le Forum mondial de l’eau portait principalement sur le développement et l’ODD 6 (Objectif de Développement Durable 6) – assurer l’accès universel à l’eau et à l’assainissement.

Ce que j’ai senti à Dakar, c’est que tout le monde était d’avis que c’est précisément dans les zones de conflit, par exemple au Sahel, dans la région du lac Tchad, jusqu’à la Corne de l’Afrique, et bien sûr au Moyen-Orient et au-delà, qu’il est le plus important, mais aussi le plus difficile d’arriver à cela.

Qu’est-ce que le CICR a apporté au forum et qu’est-ce que vous vouliez en tirer?

Le CICR, en tant qu’organisation humanitaire, apporte sa propre expertise et son expérience dans la recherche de systèmes d’approvisionnement en eau, de systèmes de traitement des eaux usées et de leur fonctionnement, malgré la guerre ou les conflits. Mais au fil des ans, nous constatons la nécessité de travailler en partenariat avec les acteurs du développement pour ne pas seulement nous contenter d’entretenir des systèmes qui sont sur le point de s’effondrer, mais aussi investir dans la modernisation et l’expansion des systèmes d’approvisionnement en eau.

L’un de ces aspects concerne les zones urbaines : comment pouvons-nous protéger et améliorer les systèmes de distribution d’eau dans des villes en croissance où, en raison des conflits, beaucoup de personnes déplacées viennent des zones rurales et affluent dans les banlieues de Goma en République démocratique du Congo (RDC), par exemple? On peut aussi penser à de nombreuses autres villes qui sont devenues un refuge pour les gens, comme Maiduguri, dans le nord-est du Nigéria, où la population croît soudainement extrêmement rapidement. C’est là que nous investissons massivement, mais c’est parfois trop pour une organisation humanitaire d’assumer cela seule. Les acteurs du développement peuvent être réticents à investir en raison des risques ou de la faiblesse des institutions. Mais c’est là que nous pouvons travailler ensemble pour surmonter ces obstacles.

Y’a-t-il des exemples qui vous viennent à l’esprit où les acteurs humanitaires et du développement travaillent déjà bien ensemble pour améliorer l’accès à l’eau?

Il y a 22 ans, je suis allé en RDC pour soutenir l’Office de l’eau du pays et les donateurs ont dit au CICR qu’il ne devrait pas intervenir parce que cela compte comme du développement. C’était à une époque où il y avait différentes guerres en cours, suite à la fin du régime de Mobutu. Nous avons donc approché les acteurs du développement pour leur demander de préserver et de soutenir les ports d’eau. Mais ces acteurs nous ont dit qu’ils ne pouvaient pas le faire parce que la RDC n’avait pas payé ses arriérés de dettes.

Nous avons donc fait ce travail de soutien à l’approvisionnement en eau dans les villes, y compris Kinshasa et Goma, parce que personne d’autre ne le faisait. Aujourd’hui, nous travaillons avec la Banque mondiale, avec l’UNICEF, avec l’Agence française de développement et d’autres pour étendre le système d’approvisionnement en eau à l’ouest de Goma. Chacun de nous apporte son expertise, ses moyens ou ses ressources pour travailler ensemble et fournir de l’eau potable et des services d’assainissement à environ 300 000 à 400 000 personnes. Il y a donc eu des améliorations, mais il reste encore beaucoup à faire et à améliorer. Il y a beaucoup d’autres domaines où nous devons créer ces liens entre les acteurs humanitaires et du développement, là où ils n’existent pas encore.

Comment la guerre en Ukraine, où les infrastructures hydrauliques ont été incendiées et où les habitants de villes comme Marioupol ont dû recourir à des mesures désespérées pour accéder à l’eau, a-t-elle pris forme ou s’est-elle invitée dans les discussions la semaine dernière?

Le Forum a été une excellente occasion d’attirer l’attention des ministres et des acteurs du développement sur trois thèmes différents. Premièrement, dans les conflits armés ou les conflits prolongés, il est essentiel de pousser les parties au conflit à protéger et à respecter les infrastructures civiles comme les points d’eau, les bassins de réserve, les stations de pompage et les conduites d’eau. Il s’agit d’infrastructures civiles essentielles qui sont protégées par le droit international humanitaire.

Deuxièmement, si vous prenez la Syrie, par exemple, nous disons depuis longtemps qu’une partie de l’infrastructure d’approvisionnement en eau est au bord de l’effondrement. Mais on considère qu’elle est trop importante pour échouer. Car si l’infrastructure s’effondre complètement, des millions de personnes n’auront plus accès à de l’eau potable. Nous appelons donc la communauté internationale à trouver des moyens non seulement pour continuer à essayer de maintenir un système qui est sur le point de s’effondrer, mais aussi, après dix ans de conflit, à investir dans une forme quelconque de rétablissement précoce ou de réhabilitation de ces systèmes vitaux afin qu’ils puissent résister aux chocs.

Troisièmement, il est capital pour nous de travailler comme nous le faisons, beaucoup plus avec les acteurs locaux.

Comment le CICR a-t-il réagi à l’urbanisation de la guerre?

Parfois, en situation de guerre, nous sommes la seule organisation présente. Nous devons donc intervenir en mode d’urgence pour nous assurer que les systèmes de distribution d’eau dans les zones urbaines soient opérationnels. On peut penser aujourd’hui à Marioupol, en Ukraine, où nos collègues, lorsqu’ils étaient encore là, nous ont parlé de gens qui se réfugiaient dans des sous-sols sans accès à l’eau ou à l’électricité. Certains d’entre eux devaient apporter de la neige de l’extérieur et la faire fondre juste pour avoir de l’eau à boire. La situation est donc extrêmement grave. Et le principal enjeu ici, encore une fois, est le respect du droit international humanitaire et des Conventions de Genève – que les belligérants protègent les infrastructures civiles vitales telles que les systèmes d’eau.

Nous travaillons donc avec les offices des eaux et les services des eaux pour les aider à assurer le fonctionnement des infrastructures d’approvisionnement en eau. C’est assez difficile parce que dans les zones urbaines, ces systèmes, comme le réseau électrique et les réseaux d’eau, sont très interconnectés. Le fait que les belligérants utilisent des explosifs lourds ayant une large portée dans des zones très densément peuplées est une préoccupation majeure pour nous parce qu’il devient très difficile de protéger les civils et les infrastructures civiles. Ce sont donc des préoccupations que nous continuons de souligner auprès de la communauté internationale et des États, parce que la préservation de l’accès à l’eau peut être une question de vie ou de mort.

Article de Kasmira Jefford pour Geneva Solutions, traduit de l’anglais par Katia Staehli