Un pour tous, tous pour un. L’entrelacs de mains qui clôture la cérémonie a tout du geste gamin, ou mafieux. Il y manque les épées de d’Artagnan et des mousquetaires, mais Poutine a un poignard dans les yeux. Ses nouveaux amis ont le regard absent, on y lit la peur de ce qu’ils ont osé faire. Ils ont posé leur main sur celle de Poutine, mais elle semble prisonnière d’un sort jeté. Le serment, plus que la signature, les condamne à un destin commun.
Quelques heures plus tard, autre lieu, autre décor. Le président ukrainien signe la lettre de demande officielle d’adhésion accélérée à l’OTAN. Un tréteau dressé dans la rue, deux collègues, pas de sunlights. À Moscou, la cérémonie brillait d’or et de mille feux, le parterre achalandé applaudissait selon le script. À Kiev, on est dans le sombre et le silencieux. Poutine surjoue, il en a besoin : il est à la peine. Zelensky fait dans la sobriété : les avancées de son armée parlent pour lui.
Sur les chaînes de télévision, les deux images se juxtaposent, Poutine fait la Une, mais il n’écrase pas son adversaire. Zelensky est ici aussi à l’écran malgré la magnificence des moyens engagés là-bas.
Formidable épisode d’une guerre qui ne cesse de bousculer les idées toutes faites des généraux. La bataille de la communication est aussi cruciale que l’affrontement sur le terrain. Nous l’avons appris de cette guerre, mais nous ne cessons de nous en étonner. Zelensky et son équipe sont des maîtres en la matière. Ils ont créé autrefois une série à succès, écrit un scénario électoral improbable, inventé le président.
L’Europe observe, fascinée. Elle se projette dans l’après, comme si l’épisode était trop fort pour elle, la dépassait, comme s’il fallait sauver au moins quelque chose, une parole qui comptât dans ce grand affrontement. Son rendez-vous de Prague propose la création d’une « Communauté politique européenne ». L’image des 44 pays invités n’impressionne guère. Le nombre ne fait pas toujours la différence.
La Communauté politique est plein de bonnes intentions. Mais pas si généreuse. Elle est une sorte d’antichambre pour les pays qu’elle ne souhaite pas voir rejoindre le club trop vite, l’Ukraine par exemple. Car c’est de cela qu’il s’agit, c’est comme cela que les pays candidats la reçoivent. Et la liste d’invitations révèle des étrangetés, comme la présence de l’Azerbaïdjan, certes riche de son gaz.
Les pays de l’Est étaient peu visibles sur la carte, pas trop écoutés. Ils étaient à la marge, ils glissent au centre.
La Communauté, c’est encore une idée de l’Ouest. Celle de Mitterrand, reprise aujourd’hui par Emmanuel Macron. Le couple franco-allemand, fort de son poids économique, a longtemps dit le bien et le mal. Les pays de l’Est étaient peu visibles sur la carte, pas trop écoutés. Ils étaient à la marge, ils glissent au centre. Ce ne sont pas des puissances, ils ne sont pas tous vertueux, mais la guerre les installe dans une situation incontournable. Choisir la République tchèque pour cette réflexion sur l’architecture européenne est symbolique, mais cela ne suffira pas. Quand l’Union propose aux candidats de patienter à sa porte, eux souhaitent en faire partie.
Le cœur de l’Europe s’est déplacé plus à l’Est. Il y a quelques années, c’est Hollande et Merkel qui scellaient l’accord de Minsk. Aujourd’hui, la France se tortille pour espérer jouer encore un rôle dans la résolution de la guerre, passe des coups de fil au Kremlin, livre une poignée de canons à l’Ukraine, rappelle son importance. L’Allemagne, elle, tâtonne, se débat dans ses contradictions, ose le réarmement. Mais surtout, comment imaginer une quelconque discussion sans la Pologne et les pays baltes, en première ligne ?
L’Est inquiet l’est encore davantage, et compte beaucoup plus sur l’OTAN et les États-Unis que sur un machin européen. Les résolutions de Prague n’y changeront rien. Ni tous les serments du monde.