Le selfie en kaki — Genève Vision, un nouveau point de vue

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Il est étrange, en revanche, que le va-t-en-guerre paraisse rabougri et la victime ardente. Ou alors, c’est qu’on le perçoit ainsi, que la démocratie est encore désirable, la dictature toujours, ou alors à nouveau – pour ceux qui en doutaient – abhorrée.

Le selfie est aussi une arme de guerre. Volodymyr Zelensky a gagné la bataille de la communication. Mais pas seulement, il a pris la mesure des véritables enjeux : « Il ne s’agit pas simplement d’une invasion de l’Ukraine par la Russie, dit-il. Ceci est le début d’une guerre contre l’Europe, contre l’unité européenne, contre les droits de l’homme les plus élémentaires, contre les règles de coexistence sur le continent ».

L’avertissement a été entendu. L’OTAN est ressuscitée, l’Allemagne décidée à se réarmer, l’Europe résolue à se retrouver. La Pologne rejoint le club des vertueux.

Le plus spectaculaire est la décision de l’Allemagne. Elle va investir 100 milliards d’euros pour renforcer son armée. Impensable il y a quelques semaines encore. Traumatisée par la guerre, modérée par les sociaux-démocrates et les Verts pacifistes, elle opère un virage historique.

L’OTAN avait été déclarée en état de mort cérébrale par Emmanuel Macron. L’offensive russe la réveille brutalement.

Une défense européenne commune

L’Europe, championne des divergences – on l’a encore vu dans les premières discussions sur les sanctions – parle désormais d’une seule voix, met ses hésitations en sourdine. Née au sortir de la Deuxième guerre mondiale sur un projet de paix, elle se résigne à renouer avec la puissance guerrière. Elle constate que des sanctions fortes et unanimes peuvent faire effet. Elle découvre sa faiblesse, et fait l’expérience de sa force. Elle sait désormais qu’elle doit franchir une nouvelle étape : se convertir à une défense commune.

La conversion intervient fort à propos alors que Joe Biden, qui a ouvert la porte de l’Ukraine à Poutine, en déclarant urbi et orbi qu’il ne combattrait pas, est absent, sans stratégie, réduit à lancer quelques invectives. Ou une invitation malvenue, comme celle d’évacuer le président Zelensky dès les premiers jours de l’invasion. Réponse du président ukrainien, qui restera dans l’histoire : « J’ai besoin de munitions, pas d’un taxi… »

La Suisse, arcboutée jusqu’ici derrière la neutralité, accepte d’appliquer les sanctions européennes. Une décision historique, qu’un Conseil fédéral bien trop prudent, a fini par prendre sous l’encouragement des partis et la pression des Européens. Elle interdit son ciel aux compagnies russes, elle gèle les avoirs d’oligarques proches du Kremlin. « La Suisse ne peut être spectatrice », dit le président Ignazio Cassis.

L’accélération de l’histoire

C’est ce qu’on appelle une accélération de l’histoire. Nous la vivons en direct. Nous savions que le temps était « sorti de ses gonds » pour citer le mot d’Hamlet et que le monde était devenu instable, mais c’était une perception académique, une vision romantique. Nous sommes dans le réel.

Les valeurs morales sont invoquées fièrement par les artistes et les sportifs. Le CIO, la FIFA, l’UEFA se résignent à des exclusions de la Russie des compétitions internationales. Ils coupent avec leurs sponsors. Des politiques abandonnent les conseils d’administration fructueux. D’autres changent de ton. Des publicistes tempèrent leur opinion. La réprobation est planétaire. Poutine, paria du monde.

Le conflit ne cesse de produire ses effets.

André Crettenand

La lettre internationale du 5 mars :  Zelensky selfie en kaki – Poutine falsifie l’histoire – Wagner la menace – FIFDH Voies Libres – Bezos immortel ? Et les dinosaures de retour ?