Soyons honnête, nous nous disions que Genève avait perdu de son aura et que le monde la boudait. Que la ville, vidée de ses innombrables réunions s’assoupissait doucement. Qu’elle était délaissée, qu’on lui préférait d’autres villes. Ce n’était pas faux. Mais l’annonce du sommet Biden-Poutine ou Poutine-Biden (l’ordre d’apparition n’est pas encore clairement établi) l’a réveillée brusquement et a remis les projecteurs sur la « ville monde » par excellence.
Le 19h30 / 1 min. / 25.05.2021
Il n’y a pas de doute que la rencontre au bord du lac, et peut-être au coin du feu comme Reagan-Gorbatchev autrefois, conforte de manière spectaculaire le rôle de la Genève internationale.
L’époque n’est cependant plus la même. Avec Reagan-Gorbatchev, on était dans le choc des puissances et on pressentait qu’il résulterait quelque chose de cette confrontation de géants, en bien ou en mal. Au mieux : un peu de paix. Avec Biden-Poutine, on assistera plutôt à un premier rendez-vous, histoire de voir si on peut faire un bout de chemin ensemble, après avoir partagé injures et méchancetés. Au pire : un répit dans les invectives.
On croyait alors, avec raison, au bonheur de la rencontre. On est cette fois dans le malheur des nouvelles confrontations en gestation. A l’espérance a succédé l’angoisse et le sommet de Genève ne pourra pas l’effacer. On est dans la reconstitution de blocs forgés autour de convictions affirmées et opposées. Ici, la démocratie libérale, ailleurs des régimes dit illibéraux, selon la classification du politologue Yascha Munk, régimes où le respect des libertés fondamentales n’est pas jugé essentiel, et donc pas prioritaire.
Sur le terrain des droits de l’homme, Genève, et la Suisse, ne vont pas manquer de travail de sitôt. C’est une œuvre de longue haleine, souvent moins spectaculaire, moins publique, plus âpre, plus exigeante.
Le sommet de Genève est moins crucial sans doute aussi parce que la véritable confrontation, celle que le monde redoute, c’est celle qui oppose les Etats-Unis et la Chine.
Le Covid-19 a certes désigné Genève, siège de l’OMS et de nombreuses organisations, comme une capitale mondiale de la santé, et, en même temps, il a éloigné tous les acteurs du jeu diplomatique. La pandémie les a contraints à rester chez eux, à distance, reliés par le fragile fil de la visioconférence. Genève a perdu de sa substance, des effets de réseau, des échanges impromptus, des intuitions libératrices. Il faut espérer que cela revienne vite.
Sans vouloir tomber dans la nostalgie, il vaut la peine de voir la série de Claire Braillard, « Coulisses diplomatiques », réalisée pour Genève Vision, et qui retrace quelques grandes heures des sommets genevois. Une noria de présidents et de négociateurs dont le rappel en images impressionne.
Le choix de Genève doit davantage à sa position naturelle de terrain neutre et bienveillant qu’à un activisme diplomatique effréné. Les circonstances la projettent à nouveau au centre du jeu diplomatique. On se souvient soudain de ses vertus apaisantes. Il faut en profiter. Le sommet qui s’annonce est une opportunité pour Genève de se montrer incontournable dans cette phase de réveil du multilatéralisme.