Le retrait français du Mali, un tournant pour la situation sécuritaire au Sahel — Genève Vision, un nouveau point de vue

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Dans un rapport publié en septembre, l’International Crisis Group regrettait que les forces internationales présentes au Mali aient privilégiés une approche se focalisant essentiellement sur la lutte anti-terroriste, en laissant de côté le soutien aux réformes gouvernementales.

La faiblesse du gouvernement de Bamako a laissé la porte ouvertes à deux coups d’Etats successifs en août 2020 et mai 2021, ce qui a déstabilisé encore un peu plus le pays. Désormais au pouvoir, les militaires sont peu pressés d’organiser une transition démocratique. La coalition au pouvoir est néanmoins fragile et empêche de mener les réformes nécessaire pour reconstruire le Mali.

Forces françaises contestées par la population

Au sein de la population, la contestation gronde envers l’armée française, qui est de plus en plus considérée comme une force occupante. Emmanuel Dupuy, président de l’Institut Prospective et Sécurité en Europe et spécialiste de l’Afrique sub-saharienne, fait la comparaison avec la situation en Afghanistan.

« Le constat est implacable, après neuf ans de présence, la France quitte un pays qui pourtant l’avait appelée au secours en janvier 2013 quand la souveraineté de l’Etat était menacée par le joug des groupes armés terroristes. Nous avons certes évité que la gangrène ne prenne l’ensemble du pays, mais malheureusement, six mois après la chute de Kaboul, les Français se trouvent dans la même situation où la population se félicite de leur départ », explique Emmanuel Dupuy dans l’émission Tout un monde.

Présence renforcée au Niger

La junte au pouvoir à Bamako parle elle de « manquements » de la part de la France et d’une « violation flagrante » des accords entre les deux pays. Regrettant que les neuf ans d’engagement français au Mali « n’ont pas été satisfaisants », la junte appelle Paris à « retirer sans délai » ses soldats du pays.

La France ne va toutefois pas quitter totalement la région. Elle prévoit notamment de renforcer sa présence au Niger. Le président nigérien Mohamed Bazoum s’est par ailleurs dit prêt à accueillir de « nouvelles implantations », notamment du groupement de forces spéciales européennes Takuba.

La population nigérienne n’est néanmoins pas davantage francophile que les Maliens. Emmanuel Dupuy rappelle qu’au Niger aussi « les convois militaires français sont caillassés ». Cela s’est encore amplifié depuis novembre et la mort de trois manifestants nigériens qui essayaient d’empêcher un convoi français d’avancer.

Champ libre à la Russie?

Le vide laissé par la France au Mali pourrait représenter une occasion pour la Russie de renforcer sa présence au Sahel. Les pays occidentaux ont plusieurs fois dénoncé les appels de pied de la junte malienne au groupe de sécurité privée russe Wagner, dont les méthodes sont controversées.

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Un tel accord est nié tant du côté de Bamako que de Moscou, qui parlent de coopération d’Etat à Etat. Les liens entre les deux pays – qu’ils soient officiels ou officieux – devraient continuer à se resserrer, après la signature en juin 2019 d’un accord de défense qui a débouché sur l’achat d’hélicoptères russes par le pays subsaharien.

Besoin de dialogue avec les djihadistes

L’instabilité sécuritaire au Mali est d’autant plus préoccupante qu’une famine sévit dans la région. Vendredi, l’ONU s’est même alarmée de l’aggravation de la situation alimentaire dans l’Afrique sahélienne. Le Programme alimentaire mondial (PAM) dit manquer de près de 500 millions de dollars pour secourir plus de 10,5 millions d’affamés. Nul doute que l’inévitable confusion engendrée par le retrait français rendra l’aboutissement de tout aide humanitaire encore plus difficile.

Pour la population malienne, le seul point positif vient peut-être ironiquement des groupes terroristes eux-même. En effet l’annonce par la France du retrait de ses soldats au Mali lève un préalable posé par les djihadistes affiliés à Al-Qaïda pour dialoguer avec le pouvoir à Bamako.

De nombreuses voix, tant internes qu’externes au Mali, appellent à un tel dialogue. C’est notamment le cas de l’International Crisis Group, qui ne cesse de rappeler que les défis auxquels le Mali fait face ne peuvent être résolu qu’à condition d’apporter des réponses politiques, économiques et sociales, et non pas seulement militaires. En ce sens, aucune solution politique ne peut être viable sans tenter d’engager certains des chefs djihadistes dans la discussion.

Antoine Schaub