Le monde est-il déterminé à rendre l’OMS plus forte? — Genève Vision, un nouveau point de vue

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Le Panel indépendant a été mis sur pied en 2020 pour tirer les leçons de la pandémie et suggérer des réformes de l’OMS qui lui permettraient de mieux faire face aux futures menaces sanitaires. Ses anciennes coprésidentes ont publié en mai un rapport pour évaluer le suivi de leurs recommandations.

«En termes de réformes, il y a eu quelques petits pas, mais pour nous, ils restent très insuffisants», affirme Michel Kazatchkine, ancien membre du Panel indépendant.

La pandémie a mis en lumière le rôle de l’OMS en tant que guide scientifique sur les questions de santé. Elle a également mis en évidence le décalage entre les attentes très élevées du monde à l’égard de l’agence onusienne et son budget insuffisant.

L’AMS devrait cette semaine approuver une réforme du financement de l’OMS. Elle tentera également d’avancer sur un traité très attendu sur les pandémies. Les progrès accomplis dépendront toutefois de la capacité des 194 membres de l’organisation à harmoniser leurs priorités parfois contradictoires.

Plus de fonds

C’est l’une des principales leçons de la pandémie: le niveau de financement de l’OMS est insuffisant.

Actuellement, les contributions obligatoires – les cotisations des États membres de l’OMS – ne couvrent qu’environ 16% du budget de l’organisation. Le reste est financé par les contributions dites volontaires des pays, d’autres organisations internationales et d’acteurs privés. Ces financements sont en grande partie liés à des programmes spécifiques.

Ces contributions sont imprévisibles et, selon certains experts, compromettent l’indépendance de l’OMS, qui doit compter sur un petit nombre de donateurs influents. La Fondation Bill et Melinda Gates, par exemple, est le deuxième plus gros contributeur de l’OMS après l’Allemagne et devant les États-Unis. Mais ses donations sont principalement consacrées à l’éradication de la poliomyélite.

« Le monde ne sera pas sûr tant que nous n’aurons pas une OMS mieux financée », déclare Björn Kümmel, chef adjoint de l’unité santé globale au Ministère fédéral allemand de la Santé, et président du groupe de travail de l’OMS sur le financement durable. D’autant plus, estime-t-il, que les investissements visant à prévenir les crises sanitaires ont été maintes fois négligés par le passé.

Le groupe de travail sur le financement durable a été créé en 2021 par le Conseil exécutif de l’OMS pour trouver des solutions aux problèmes financiers de l’organisation. Mais jusqu’à récemment, les États membres ne parvenaient pas à s’entendre pour augmenter leurs contributions.

Le groupe a désormais élaboré un projet de résolution – qui doit encore être adopté par l’AMS – visant à augmenter progressivement les cotisations obligatoires des États membres pour couvrir 50% du budget de l’OMS d’ici à 2030-2031. Selon les experts, un tel accord est historique, mais le calendrier choisi pose un problème. L’incertitude financière restera la norme pour les années à venir.

« Nous parlons d’une énorme augmentation en pourcentage, mais nous ne demandons pas une énorme augmentation en termes absolus », souligne Björn Kümmel, qui ajoute que l’augmentation s’élèvera à 1,2 milliard de dollars (1,17 milliard de francs suisses) sur huit ans. La facture sera répartie entre les 194 États membres. Les pays les plus grands et les plus riches comme les États-Unis, la Chine, le Japon et l’Allemagne financeront la majeure partie de l’augmentation.

Un investissement minime par rapport au prix que les pays autour du monde ont dû payer pour répondre à la pandémie, rappelle Björn Kümmel.

Des règles contraignantes

Une autre grande étape pour mieux préparer le monde à une future épidémie mondiale a été la décision de l’Assemblée mondiale de la santé, l’année dernière, de commencer à négocier ce qui pourrait devenir un traité sur les pandémies. Mais il s’agit, là aussi, d’un processus chronophage.

« Le traité avance à pas de tortue, déclare Michel Kazatchkine. Les négociations ne progressent pas au même rythme que le virus ou que la prochaine épidémie. »

L’élaboration d’un accord international est un processus réputé long et compliqué. L’actuel organe intergouvernemental de négociation ne produira pas de projet de texte avant deux ans. Au plus tôt, un accord pourrait être conclu lors de l’Assemblée mondiale de la santé en mai 2024. Mais il faudra probablement plus de temps jusqu’à son entrée en vigueur.

À ce jour, les États membres de l’OMS n’ont accepté qu’une seule fois d’établir un traité juridiquement contraignant. Il s’agit de la Convention-cadre pour la lutte antitabac (CCLAT) de 2003, qui encadre la vente et la commercialisation des produits du tabac dans le monde.

Les détails de ce que couvrirait un traité sur les pandémies restent inconnus. Les spécialistes ont recommandé qu’il donne à l’OMS le pouvoir d’envoyer des équipes d’experts pour enquêter sur de nouvelles épidémies sans avoir à demander la permission des pays. Mais certaines personnes craignent que cette approche ne soit pas la bonne.

« Je ne pense pas qu’à ce stade, il y ait suffisamment de preuves que nous avons besoin d’un traité sur les pandémies », a déclaré Nicoletta Dentico, responsable du programme de santé mondiale à la Société pour le développement international (SID), au podcast Inside Geneva.

Selon elle, la mise à jour de l’actuel Règlement sanitaire international (RSI) – un ensemble de règles juridiquement contraignantes qui traitent des urgences sanitaires – serait une approche plus productive.

Ce point de vue est partagé par des pays qui ont proposé des révisions du RSI, mais certains experts craignent qu’il s’agisse d’une manière d’éviter de donner plus de pouvoir à l’OMS, ce qu’un traité sur les pandémies pourrait impliquer.

Les États-Unis ont porté un projet d’amendement à l’attention de l’AMS. Il propose de raccourcir le processus de révision, qui prend actuellement deux ans, afin que les modifications futures puissent entrer en vigueur plus rapidement. Mais des révisions substantielles ne sont pas à l’ordre du jour.

Le temps presse

Plus de 2,7 milliards de personnes dans le monde attendent toujours leur première dose de vaccin. Dans les pays à faible revenu, moins de 15% de la population a été entièrement vaccinée. Selon Joanne Liu, ancienne membre du Panel indépendant, l’échec de vacciner l’entier de la planète est une « tache morale collective sur notre histoire ».

Certains spécialistes affirment qu’un traité sur les pandémies devrait également prendre en compte la distribution équitable des vaccins et autres équipements médicaux. Mais cela s’annonce aussi difficile. À l’Organisation mondiale du commerce (OMC), les États membres négocient depuis près de deux ans une dérogation aux droits de propriété intellectuelle pour les technologies liées au Covid, sans pour autant parvenir à un accord.

« Et cela ne concerne qu’une seule dérogation pour une seule maladie. […] Vous pouvez imaginer que de tenter d’obtenir un accord sur ce genre de questions difficiles, comme la propriété intellectuelle, que nous devons aborder dans un traité plus large sur les pandémies, cela va être très difficile », explique Suerie Moon, codirectrice du Global Health Centre de l’Institut de hautes études internationales et du développement à Genève (IHEID).

Les vaccins ont été développés en un temps record, mais ils n’étaient pas tous bien adaptés aux pays à faible revenu, car les vaccins à ARN messager devaient être stockés à très basse température. Parallèlement, le mécanisme COVAX, qui visait à garantir un accès juste et équitable aux vaccins pour chaque pays, a montré ses limites. Les pays riches l’ont utilisé pour se débarrasser de doses excédentaires – c’était trop peu, trop tard.

« Lorsque nous commençons à rechercher et à développer un vaccin, nous devons tout de suite penser à son accès pour tout le monde et non pas à son accès pour les plus riches et chercher ensuite des mécanismes pour qu’il aille aussi aux plus pauvres », souligne Michel Kazatchkine.

L’AMS se tient alors que nombre de pays considèrent que la pandémie est derrière eux. La guerre en Ukraine a polarisé le monde et rendu la coopération internationale plus difficile encore. Dans ce contexte, les spécialistes de la santé exhortent les États membres de l’AMS à ne pas abandonner la lutte contre le Covid.

« L’heure tourne. Au fur et à mesure que les pays à haut revenu s’extirpent de cette pandémie, celle-ci devient invisible. Et lorsqu’elle devient invisible pour les pays à haut revenu, cela signifie qu’elle n’existe plus, même si les pays à faible revenu continuent de la combattre », conclut Joanne Liu.

Avec la collaboration d’Imogen Foulkes.