Le français à l'ONU, bientôt disparu? — Genève Vision, un nouveau point de vue

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Pour Jérôme Bonnafont, Ambassadeur de France auprès de l’Office des Nations Unies à Genève, « le multilinguisme et la francophonie en particulier font partie des fondamentaux du multilatéralisme ». Le poids des mots est à prendre en considération, notamment lors de négociations, car le monolinguisme peut exposer au risque de malentendus lors de la traduction imprécise d’un terme, pouvant aller jusqu’à prendre une mauvaise décision sur le plan international, avertit le diplomate français.

Alessandra Vellucci, directrice de l’Information à l’ONU, estime que « le multilinguisme à l’ONU n’est pas mort », tout en reconnaissant qu’il peut y avoir un problème dans la communication « car il n’y a pas de budget pour qu’elle soit faite dans toutes les langues officielles des Nations Unies ». Le manque de moyens financiers peut également limiter la traduction de documents de l’anglais vers d’autres langues.

« Si nous voulons que le multilatéralisme fonctionne, il faut que les États membres de l’ONU acceptent de le financer et que la grille de répartition soit équitable entre tous », le multilinguisme étant une déclinaison du multilatéralisme, souligne l’ambassadeur de France. « Je ne crois pas que les langues soient amenées à reculer. Elles sont amenées à s’imposer de plus en plus dans leur diversité », précise-t-il.

Si Jürg Lauber, l’Ambassadeur de Suisse auprès de l’ONU, n’est pas de langue maternelle française, il en est un fervent défenseur, tout en admettant que le français a peut-être reculé au niveau global. « On a souvent constaté des retards dans la traduction de documents dans d’autres langues que l’anglais. C’est parfois dû à un manque de ressources. Je suis convaincu qu’il faut continuer de maintenir l’esprit du multilinguisme au sein de l’ONU car il est l’expression du respect de la compréhension des différents groupes culturels et linguistiques ».

Six langues officielles

L’ONU compte six langues officielles : le français, l’anglais, l’espagnol, le russe, le chinois et l’arabe. L’anglais et le français étant les langues de travail du Secrétariat de l’ONU, rappelle Alessandra Vellucci, qui souligne que « la traduction des documents est une question d’efficacité. « Et pour être efficace, l’ONU doit être multilingue ». La directrice du Service de l’Information au Palais des Nations note par ailleurs que le français est la langue de nombreuses missions de paix notamment dans des pays francophones d’Afrique. « Si on ne traduit pas de documents ou de communiqués de presse en français, on ne peut pas parler aux populations que l’on sert. La technologie peut-être la clé pour essayer de résoudre un problème réel ».

La défense d’une langue, en l’occurrence le français, véhicule-t-elle un message politique ? La réponse de l’ambassadeur Georges Nakseu Nguefang, Représentant de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) à l’ONUG est claire : « Tout est politique dans la vie. Il faut simplement savoir où on se situe. La langue française définit notre encrage dans la francophonie, celui du partage de valeurs ». Il reconnait qu’au-delà de la langue française, il y a une vision du monde. « Nous nous inscrivons dans cette dynamique : derrière la langue il y a la culture. Et des subtilités lors de négociations. J’ai reçu des délégations qui se plaignaient d’être handicapées dans le cadre de négociations informelles qui portaient sur des questions et des enjeux importants. Une vraie perte ».

Les réunions informelles en anglais

Jürg Lauber tire un parallèle entre la Suisse et l’ONU. « Il y a un bon sens des diversités de langues en Suisse, comme à l’ONU, lorsqu’on entre dans une salle de conférence. Il est important de saisir qu’il existe différentes cultures et donc des compréhensions différentes ». Souvent, les réunions informelles à l’ONU se font en anglais. L’ambassadeur de Suisse espère qu’en insistant sur le multilatéralisme, les différentes cultures seront mieux comprises. Car, comme l’affirme son homologue français, « un système qui irait vers l’unilinguisme se condamnerait à l’illégitimité ».

Pour conclure sur une note optimiste, le représentant de l’OIF à Genève constate une nette progression de locuteurs du français dans le monde. Et Alessandra Vellucci de déclarer que, les médias sociaux étant devenus un outil de communication dont on ne peut se passer, « le nouveau site web de l’ONU à Genève est complètement bilingue ».

Luisa Ballin

A noter aussi le débat organisé par l’OIF : « Respect du multilinguisme, condition essentielle d’un multilatéralisme inclusif ». Le jeudi 24 mars, 14h30-16h30, Palais des Nations (salle Tempus 2), et en ligne.

Lien Zoom : https://zoom.us/j/96050635310?pwd=Z09oZjdtcjA5TnZFNEc3dFhCbC9EUT09