Le diable s'habille en Prada — Genève Vision, un nouveau point de vue

0

Et d’ailleurs, est-elle extrême ? On ne sait plus. On cherche, en vain, le qualificatif le plus juste : néo-fasciste, postfasciste, ultra-conservatrice, ou juste « très à droite » ? Giorgia Meloni est une chimère aux gènes variés, un monstre d’ambiguïtés. Elle parle, mais que dit-elle ? Elle proclame, mais qu’avoue-t-elle ?

Le symbole de Fratelli d’Italia est une flamme parée de vert, de blanc et de rouge, le symbole du MSI, le parti fondé par les anciens de Mussolini. Elle l’a conservé. Il est plus petit. On ne le voit pas trop. Mais il est bien là. N’a-t-elle pas dit autrefois : « Je crois que Mussolini, c’était un bon politicien. Tout ce qu’il a fait, il l’a fait pour l’Italie ».

Mais les Italiens n’ont pas voté le passé, ils ont plébiscité le présent. Personne d’ailleurs n’imagine que Giorgia Meloni ne rallume la flamme. Les références sont en effet contemporaines. Giorgia Meloni est plus proche de la pensée autoritaire de Viktor Orbán, de l’illibéralisme de Mateusz Morawiecki, ou de l’idéologie de Trump. Ses ennemis sont l’islam, les immigrés, les minorités sexuelles. Ses peurs : le grand remplacement. Elle émarge au populisme, et s’inscrit dans ce grand mouvement identitaire qui gagne l’Europe. Elle n’est pas seule. La Suède, la France ont vu des formations d’extrême-droite remporter d’éclatants succès.

Est-ce moins inquiétant ? Nous sommes au cœur de l’Europe, dans un pays fondateur de l’Union, qui portât au pouvoir Mussolini. Et les Italiens votent pour une candidate issue d’une formation fasciste. Cela en dit long de l’état de la nation, du rejet des élites, des angoisses populaires, de la faillite de la gauche, bien en peine d’empoigner les soucis de l’électorat, en particulier de la classe moyenne.

L’autre inquiétude concerne la guerre en Ukraine. Giorgia Meloni veut continuer à soutenir l’Ukraine. Elle n’est pas fascinée par Poutine. Au contraire de Matteo Salvini, de la Lega, et de Silvio Berlusconi, de Forza Italia, qui ont redit leur admiration pour l’homme de Moscou. Comment l’attelage qu’elle a créé avec eux pourra-t-il tenir ? Ce n’est pas la seule question. Meloni voudra-t-elle revoir le programme de relance européen ? S’en prendra-t-elle au droit à l’avortement ? Choisira-t-elle le pragmatisme ou tentera-t-elle une réforme constitutionnelle ? L’Italie ose l’expérience sans connaître les réponses. Elle parie. « Non si sa mai », on ne sait jamais, se disent-ils, occultant au fond d’eux-mêmes le danger d’un tel pari.

Giorgia Meloni est à la mode. Elle s’habille volontiers en blanc. Elle défile élégamment. Elle séduit. Mais la flamme tricolore brille sur le logo comme un discret avertissement. « A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu : voyelles, je dirai quelque jour vos naissances latentes ».

André Crettenand