L’Association suisse de football et des ONG réclament une indemnisation des travailleurs du Mondial au Qatar — Genève Vision, un nouveau point de vue

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Les dix fédérations européennes de football exigent de rencontrer les instances dirigeantes de la FIFA avant l’ouverture du congrès pour évoquer la possibilité d’un geste financier, ce que le président de la Fédération internationale de football Gianni Infantino a refusé jusqu’ici.

« Nous demandons que la FIFA fasse un geste, au moins symbolique », a confirmé dans La Matinale de la RTS Dominique Blanc, président de l’Association suisse de football (ASF).

Dominique Blanc a signé une lettre avec neuf autres présidents de fédérations de pays européens (Allemagne, Angleterre, Belgique, Danemark, Hollande, Irlande, Norvège, Portugal, Suède) pour demander ce rendez-vous au plus haut niveau de la FIFA, sans avoir obtenu encore de réponse.

Initiative norvégienne

Mais la Fédération norvégienne de football a pris les devants en demandant d’inscrire le thème des droits humains et de l’indemnisation des travailleurs migrants au Qatar à l’agenda du 73e Congrès de la FIFA qui s’ouvre le 16 mars prochain à Kigali au Rwanda.

La demande a été acceptée, a indiqué à la RTS la Fédération norvégienne. Le texte de sa proposition exige clairement « une discussion au sujet des responsabilités de la FIFA en matière de réparation en lien avec la Coupe du Monde 2022 au Qatar ».

Un rapport public est également réclamé pour établir « dans quelle mesure lesdites obligations ont été remplies et, si tel n’est pas le cas, comment elles peuvent l’être ».

Les efforts du Qatar jugés insuffisants

Cette pression interne de fédérations européennes rejoint la vaste campagne lancée au printemps 2022 par des organisations de défense des droits humains et des travailleurs en faveur d’une indemnisation de celles et ceux qu’on a appelé les « esclaves modernes » de la Coupe du monde.

Il s’agit potentiellement de milliers de cas de salaires confisqués, de blessures et même de décès en raison des conditions de travail très dures vécues dans le richissime émirat gazier.

Le Qatar a amélioré les conditions cadres de ses travailleurs migrants et a ouvert un fonds d’assistance. Mais il est considéré comme difficile d’accès et largement insuffisant pour couvrir tous les cas qui ont émaillé les chantiers et les activités liées à la Coupe du Monde 2022.

La FIFA plus riche que jamais

Ces critiques et la revendication d’une participation financière directe de la FIFA sont au cœur d’une pétition internationale qui doit être remise le 13 mars prochain à Gianni Infantino, a confirmé à la RTS Nadia Boehlen, porte-parole d’Amnesty International en Suisse.

Il s’agit de mettre la pression sur la FIFA juste avant l’ouverture de son congrès et de se servir des résultats financiers exceptionnels affichés dans le rapport annuel 2022. Les revenus de la fédération dépassent les sept milliards de francs pour les quatre dernières années. Le salaire du président pour 2022 va aussi atteindre un montant record: 3,6 millions de francs, y compris un bonus de 1,65 million.

« La FIFA se montre non seulement pingre mais aussi irresponsable. En fait, elle poursuit dans sa logique de non-intervention, elle n’a toujours pas créé de mécanisme d’indemnisation », dénonce Nadia Boehlen. Jusqu’ici, le président Gianni Infantino n’a pas dévié de sa ligne, à savoir, comme le rappelle son service de communication, que la FIFA n’a pas à s’engager financièrement puisque les autorités qataries le font déjà. Notons que 350 millions de dollars d’indemnités auraient déjà été distribuées.

Les Européens minoritaires

Pour Dominique Blanc, ce refus d’une implication directe de la FIFA doit donc être rediscutée à l’interne puis lors du congrès. « Nous voulons être certains que les travailleurs qui ont agi sur les chantiers du Mondial et les infrastructures directement liées ont été jusqu’au bout payés correctement, comme c’était prévu, ou dédommagés s’ils ont été blessés sur ces chantiers », a-t-il expliqué dans La Matinale.

Il a conscience que la partie va être difficile à emporter car « la sensibilité sur ces questions est très élevée dans la moitié nord de l’Europe, moins au sud. Et il faut dire que ce n’est pas un thème important pour les représentants des autres continents. »

Le rapport de force est donc défavorable au sein des 211 membres de la FIFA. Le congrès du mois prochain finira de dire si la logique des gains financiers toujours plus élevés promis par Gianni Infantino et l’équipe dirigeante du foot mondial l’emporte sur les considérations plus sociales et éthiques défendues par le petit groupe de fédérations européennes.

Du côté des ONG, on dit se faire peu d’illusions et craindre un exercice de communication qui ne débouchera sur aucune mesure concrète.

Ludovic Rocchi, Pôle enquête RTS