L'art et la culture nouveaux enjeux de la Genève internationale — Genève Vision, un nouveau point de vue

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Pour Marie-Laure Salles, la crise du coronavirus rend le thème plus actuel que jamais. «Cela nous a rendus plus conscients que nous devions ré-enchanter l’humanité, réaffirmer les liens avec les autres et avec la nature. L’art permet de stimuler notre créativité. La formation ne peut plus faire l’impasse sur cet enjeu. Nous ne pouvons pas réduire notre humanité en quelque sorte. Nous avons décidé de définir l’art et la culture comme autant d’objectifs stratégiques et de faire de la Maison de la Paix un lieu d’expression et un créateur de liens ».

Le Maire de Genève, Sami Kanaan, conseiller administratif en charge de la culture et de la transition numérique, approuve : « On oublie souvent combien l’art et la culture rassemblent, comment ils créent des espaces de dialogue, d’échange et de compréhension mutuelle ».

Une diversité impressionnante mais mal exploitée

Pour le magistrat genevois, l’art a aussi vocation à provoquer. « L’art est puissant et les artistes ont le don de mettre en lumière ce qui dérange ou que l’on ne voit pas ». Le Maire de Genève évoque les événements que la Ville de Genève organise dans l’espace public « pour aller à la rencontre des personnes qui ne vont pas à priori dans les musées, les théâtres, les salles de concert, ou dans d’autres lieux culturels ». Il cite l’exemple de l’installation des Réverbères de la Mémoire, en lien avec les génocides, et notamment le génocide arménien. « Ce projet a suscité des controverses. Mais depuis qu’il est installé, les gens l’apprécient. C’est une œuvre artistique avant tout, ce qui lui donne sa force ».

La Cité de Calvin connaît une diversité culturelle impressionnante, mais elle ne sait pas l’exploiter. « Genève est une mosaïque magnifique, mais il faut l’entretenir, dans toutes ses composantes, quelles qu’en soient les origines », admet le Maire de Genève. « Quand le Musée d’ethnographie de Genève a monté une exposition sur les différentes religions d’Afrique – il y en a des dizaines, voire des centaines – le directeur du MEG, Boris Wastiau, m’a dit avoir été fasciné de voir que pour pratiquement toutes ces religions il y avait au moins quelques pratiquants à Genève. Ceux-ci étaient surpris que l’on s’intéresse à eux et le dialogue fut très riche ».

La lecture d’un monde complexe

Vincent Defourny, Directeur du Bureau de liaison de l’UNESCO à Genève, souligne que « toute forme d’expression artistique est une proposition de lecture d’un monde complexe, qui questionne et met en débat, une traversée vers quelque chose de différent. Cette idée de différence était dans l’esprit des fondateurs de l’UNESCO, il y a 75 ans, lorsque l’Europe était encore dans les cendres de la Deuxième Guerre mondiale.

Ils se sont dit : il nous faut le Conseil de sécurité de l’ONU et ses mécanismes pour préserver la paix, mais ce n’est pas suffisant. Les guerres prenant naissance dans l’esprit des hommes, c’est dans l’esprit des hommes qu’il faut agir. Il était important de créer une organisation internationale pour coopérer dans le domaine de l’éducation, de la science et de la culture. En ce moment de sortie progressive du Covid, nous avons vu que le manque de culture nous amène aussi à aller vers l’autre, à découvrir d’autres choses. L’art est une opportunité pour se rapprocher ».

L’aventure du FIFDH

Isabelle Gattiker, la directrice du Festival du film et forum international sur les droits humains (le FIFDH), rappelle que le Festival a été un premier laboratoire de l’art comme lien entre la Genève locale et la Genève internationale. Leo Kaneman, elle et les autres responsables de ce festival, créé en 2003, ont été clairvoyants.

« L’idée était de se dire qu’il y avait beaucoup de gens à Genève qui se battaient pour les droits humains, mais que le public genevois n’avait aucune idée de ce qui se passait derrière les murs de l’ONU. Il y a bien sûr les grands organisations internationales, mais il y a aussi une infinité d’ONG plus modestes, d’associations, nées souvent d’initiatives de réfugiés politiques, chiliens, argentins et autres, qui ont aussi nourri à Genève un esprit de lutte pour un monde meilleur ».

Les différentes communautés qui composent Genève ne se croisant pas, l’idée du FIFDH était d’essayer de créer une plateforme pour relier toutes ces personnes, leur permettre de débattre et de discuter. « Le meilleur moyen de le faire était et reste le cinéma : s’assoir ensemble dans une salle, regarder un film et se laisser embarquer ensemble dans une histoire », explique Isabelle Gattiker.

La musique est également un exemple d’art qui permet aux habitants de Genève, issus de tous milieux et de diverses communautés de se côtoyer. Philippe Dinkel, directeur de la Haute école de musique de Genève et membre du Conseil de la Fondation pour la Cité de la musique, n’a pas de doute : « La musique est un outil de partage, dont on attend avec impatience le retour en salle avec le public et des artistes sur scène. À Genève, nous sommes dans une communauté interculturelle. La musique est un moyen de dialoguer entre des communautés qui ne se sentent pas menacées dans leur culture, ce qui permet d’aller vers l’autre et de pouvoir retrouver ce sens de l’écoute, du partage et du dialogue ».

Comment créer un pont entre les deux rives ?

Genève est un petit territoire doté d’une grande richesse culturelle : 40 musées, des festivals de haute qualité, des scènes théâtrales, une offre musicale exceptionnelle, des atouts qui peuvent rassembler les deux Genève, qui ne se parlent pas.

Les intervenants au débat reconnaissent que la Genève internationale s’est beaucoup diversifiée, « mais nous n’avons pas toujours su capter les nouveaux arrivants », disent-ils.

Luisa Ballin