L’Amérique est là

6 mai 2022

America is back ! Joe Biden l’avait proclamé en s’installant à la Maison-Blanche. Rejetant l’exercice solitaire de son prédécesseur, louant ses alliés en Europe, les assurant d’une écoute aimable et aimante. Mais pas plus. Le président américain avait autre chose en tête, un ennemi choisi : la Chine. Unique objet de son ressentiment, et il entendait bien mobiliser toute la puissance de son pays pour ce qui serait la confrontation majeure du 21e siècle. D’où sa hâte à quitter au plus vite le bourbier afghan.

L’invasion de l’Ukraine a bouleversé le plan.

Courtesy AC

Manifestation de soutien aux Ukrainiens le 30 avril à Paris.

L’effort que le président Biden est en train de déployer est impressionnant. Il s’apprête à injecter 33 milliards de dollars supplémentaires dans la bataille. Au passage, il rallie les Républicains, car la cause ukrainienne fait l’unanimité chez les politiques à Washington.

A Kiev défilent désormais les personnalités venues d’Amérique. Antony Blinken, le chef de la diplomatie américaine, mais aussi le secrétaire d’État à la Défense, Lloyd Austin, qui s’aventure rarement sur le front. Nancy Pelosi, la présidente de la Chambre des représentants. Et Jill Biden, en visite en Roumanie et en Slovaquie, a fait une halte inattendue à Kiev.

« Ils peuvent gagner s’ils ont les bons équipements et le bon soutien », dit Lloyd Austin. À l’évidence, on a franchi une étape. Les Américains parlent désormais de gagner la guerre, et de pousser la Russie dans ses derniers retranchements : « Nous voulons voir la Russie affaiblie à un degré tel qu’elle ne puisse pas faire le même genre de choses que l’invasion de l’Ukraine », ajoute Lloyd Austin.

Joe Biden n’imaginait pas devoir jouer à nouveau un rôle majeur en Europe. Il était l’interlocuteur privilégié lorsqu’il s’agissait de discuter de la paix avec Poutine, comme à Genève en juin. Il avait déclaré, maladroitement, qu’aucun soldat ne combattrait en Ukraine. Il se veut aujourd’hui le meilleur ennemi de Poutine.

Les Américains réfléchissent beaucoup à ce que devrait être leur stratégie dans le monde. Envers la Chine, dans l’Indo-Pacifique, ce nouveau centre de gravité, ou en Europe qu’ils imaginaient plus autonome. La démocratie, doivent-ils s’en faire les héraults partout sur la planète ? Frapper au loin pour éviter d’être touchés au cœur plus tard ? Ne plus s’engager dans de nouvelles guerres, tout en réagissant malgré tout aux événements ?

Ils ne savent plus très bien. Et sans doute que le monde actuel ne se prête pas à des réponses simples. En attendant, ils répondent à l’agression russe par le pragmatisme le plus absolu. Le « Foreign Affairs » cite malicieusement le mot du boxeur Mike Tyson disant que l’on a beau avoir un plan, quand ont reçoit un coup de poing en pleine face, il n’y a plus de plan.

Les Européens n’ont pas la main dans cette phase décisive. Non qu’ils soient inactifs. Ils ont réussi à se mettre d’accord sur les sanctions, et ils frappent fort. Ils livrent aussi des armes, un peu. Rien de comparable à l’engagement américain. Mais ils prennent la mesure de leur faiblesse militaire et redécouvrent la puissance américaine.

L’expression la plus pure du hard power, un peu oublié, car on s’est davantage intéressé au soft power, et à ses manifestations les plus diverses, dans la guerre dite hybride. Le premier ministre italien Mario Draghi rappelait, cette semaine au Parlement européen, que l’Europe dépense trois fois plus que la Russie pour la sécurité, mais qu’elle compte 146 systèmes différents de défense ».

Désormais, on parle canons, munitions, chars d’assaut, drones, missiles. Le retour du réel comme un boomerang. Que l’Europe prend en pleine figure.

André Crettenand

La Lettre internationale du 7 mai : USA hard – Russie, un soupçon de menace – liaisons dangereuses – Les Orques débarquent – dico insolite – Mouratov à Genève