L'Allemagne a-t-elle été trop conciliante avec Vladimir Poutine? — Genève Vision, un nouveau point de vue

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Dans le pays, les critiques visant la politique d’Angela Merkel viennent avant tout de son propre camp. Ainsi, l’une des candidates à sa succession, Annegret Kramp-Karrenbauer, a tweeté dès le 24 février, date de l’invasion russe, pour dire sa colère. « Nous n’avons rien fait pour véritablement dissuader Poutine », a-t-elle déploré, parlant d’une « erreur historique ». Si cette critique n’était pas directement adressée à l’ex-chancelière, elle la met néanmoins en cause indirectement.

I’m so angry at ourselves for our historical failure. After Georgia, Crimea, and Donbas, we have not prepared anything that would have really deterred Putin.

— A. Kramp-Karrenbauer (@akk) February 24, 2022

Et de fait, Angela Merkel a longtemps été considérée comme sachant très bien gérer les crises au niveau international, avec sa « méthode » faite de recherche permanente du dialogue. Mais dès le 24 février, le monde entier, Allemagne en tête, a compris que cette approche était un échec sur toute la ligne à l’égard de Vladimir Poutine.

Le nouveau président de la CDU Friedrich Merz, considéré comme le grand rival d’Angela Merkel, a même estimé que la politique étrangère et de sécurité de l’Allemagne – et de l’Europe – était « un champ de ruines »: « Poutine a soigneusement préparé depuis des années la situation dans laquelle nous nous trouvons », dénonce-t-il dans une tribune à l’hebdomadaire Die Zeit. Friedrich Merz précise tout de même: « Il faut reconnaître que nous nous sommes tous trompés ».

Le propos est le même du côté de Wolfgang Schäuble, l’ex-ministre des Finances d’Angela Merkel: « Je ne pensais pas possible une telle crise avec la Russie. Je me suis trompé, nous nous sommes tous trompés ».

Ce qu’on reproche aujourd’hui à Angela Merkel, c’est la recherche permanente du dialogue, le souci de ne pas provoquer Vladimir Poutine et de le prendre au sérieux, ce qui a par exemple conduit l’Allemagne et la France à refuser en 2008 l’adhésion de l’Ukraine et de la Géorgie à l’Otan. Quelques mois plus tard, Vladimir Poutine attaquait la Géorgie.

La chancelière allemande Angela Merkel et le président russe Vladimir Poutine, photographiés ici en janvier 2020 à Berlin. [Hayoung Jeon – EPA/Keystone].

La diplomatie allemande reposant sur l’apaisement à l’égard de Moscou est aujourd’hui considérée comme complètement naïve. Autre pierre d’achoppement, l’aspect économique de ces relations: Angela Merkel n’a jamais remis en cause les projets de gazoducs Nord Stream I et II, l’idée étant qu’en créant des liens économiques forts avec la Russie, on l’amènerait à un partenariat avec l’Union européenne qui apaiserait toutes velléités belliqueuses. Un échec là encore sur toute la ligne.

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Tous ces « échecs » ne peuvent évidemment pas être imputés à Angela Merkel seule. L’ex-chancelière n’a fait que poursuivre la politique de ses prédécesseurs, à commencer par Gerhard Schröder, le lobbyiste n°1 de Vladimir Poutine en Allemagne.

Au parti socialiste SPD, les élus sont nombreux également à s’être fourvoyés, à l’instar de l’actuel chancelier Olaf Scholz, qui n’a cessé de dire par le passé que le projet de gazoduc Nord Stream II était un dossier relevant de l’économie privée, et n’était donc pas politique.

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Ces « erreurs de jugement » sont si nombreuses que les historiens du SPD réclament la mise en place d’une commission d’enquête parlementaire pour passer au crible la relation entre l’Allemagne et la Russie au cours de ces dernières décennies. Il faut dire que l’opinion publique allemande était elle aussi sur la même ligne de dialogue et d’apaisement, et particulièrement dans les Länder de l’Est.

Changement de ton

Au lendemain de l’invasion, Olaf Scholz a annoncé dans un discours au Bundestag « une nouvelle ère », un tournant à 180 degrés, avec l’Allemagne désormais sur une ligne de fermeté. Le pacifisme allemand tel qu’il se définissait avant le 24 février n’est plus d’actualité.

Dans cette même ligne, Berlin affiche aujourd’hui son intention de moderniser son armée  – Olaf Scholz a en effet annoncé qu’il allait débloquer 100 milliards d’euros pour la Bundeswehr et que l’Allemagne allait se doter d’un nouveau système de défense anti-missile.

Si le langage de fermeté s’est imposé dans le domaine de la défense, Olaf Scholz est en revanche plus nuancé sur le front des importations de gaz russe. Le chancelier a encore exclu dimanche un embargo total sur le gaz russe, en disant que cela aurait des conséquences graves sur l’économie allemande et que ce serait à terme contreproductif. Dans ce domaine, l’Allemagne cherche de toute évidence à gagner encore un peu de temps.

Blandine Milcent/kkub