La ruse et la bravoure — Genève Vision, un nouveau point de vue

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C’est un succès militaire et aussi une victoire diplomatique, à quelques jours de l’ouverture de la session annuelle des Nations Unies à New York. Kiev peut ainsi réaffirmer sérieusement qu’il souhaite retrouver l’intégralité de son territoire, dont la partie du Donbass occupée avant le 24 février, mais aussi la Crimée annexée en 2014. Cet objectif de guerre, annoncé par Zelensky, semblait il y a quelques semaines encore déclamatoire et irréaliste, il devient sinon possible, en tous cas envisageable. Et cela change tout. La contre-offensive est aussi une victoire morale.

Au moment où les Occidentaux redoutent la réaction de leurs citoyens, confrontés à la hausse du coût de la vie, l’Ukraine leur prouve qu’il vaut la peine de poursuivre l’effort. Cela rend aussi le soudain débat sur l’efficacité des sanctions moins prégnant. Poutine sait qu’il a une carte à jouer en agissant sur les coupes de gaz. Il mise sur les opinions publiques occidentales qui refuseraient de nouveaux sacrifices.

Bien sûr, des craquements se font sentir. On voit les Allemands se tortiller. À Prague, l’extrême-droite et l’extrême-gauche ont manifesté le même jour pour la levée des sanctions. En Italie, Roberto Salvini, le leader populiste a demandé de mettre fin à celles-ci. Il pourrait se retrouver au sein de la coalition d’extrême-droite au pouvoir dans quelques jours. En France, le parti de Marine Le Pen le réclame depuis longtemps. En Suisse, Christoph Blocher voudrait lancer une initiative pour une neutralité absolue qui interdirait toute association à des sanctions.

Mais l’Europe s’est réorganisée plus vite qu’on n’aurait pu l’imaginer. Elle n’importe presque plus de pétrole et de charbon. Et les États mettent en place des mesures pour limiter la hausse du coût de la vie. Mais ce que Poutine considère comme une faiblesse intrinsèque de l’Occident, c’est-à-dire, la libre opinion, c’est précisément la force des démocraties, sa valeur, notre liberté. Il se pourrait bien que Poutine ait là aussi sous-estimé le décadent Occident. Pour qui pense que les sanctions ne servent à rien, il vaut la peine d’écouter un Poutine quémandeur, avouant être prêt à rouvrir le robinet de gaz si les Occidentaux renonçaient aux sanctions. S’en inquièterait-il ?

Le président russe ne va pas s’avouer vaincu pour autant. Il va tester d’autres ressorts. Il remet dans le débat le sort de la centrale de Zaporijjia, qu’il occupe, accusant les Ukrainiens de la bombarder, laissant planer le risque d’une catastrophe.

La guerre en Ukraine n’est pas la guerre du Péloponnèse et gardons-nous de proclamer aussitôt que c’est le tournant de la guerre, même si cela y fait penser. C’est la tournure des événements qui frappe : les Ukrainiens défendaient, ils attaquent. Ils résistaient, ils avancent. L’Ukraine peut-elle gagner la guerre ? Oui, elle le peut.

André Crettenand