La Pologne en jaune et bleu — Genève Vision, un nouveau point de vue

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Mais elle a ouvert ses portes à 3 millions de réfugiés. Les Ukrainiens sont des voisins connus, déjà présents. Deux millions d’entre eux travaillaient dans le pays avant l’invasion. L’effort n’en est pas moins gigantesque. On ne mesure pas vraiment l’ampleur de la tâche, ni la logistique mise en place. La Pologne n’avait pas d’expérience de gestion d’une telle crise migratoire.

On salue peu l’exploit. C’est que le pays n’a pas bonne presse. La Pologne se revendique populiste, réactionnaire, elle est fière de défier le monde entier, paradant aux côtés de Viktor Orban et de Marine Le Pen. La voilà saisie d’empathie. Rendant grâce à la société civile qui se mobilise, et en particulier les ONG, jusqu’ici souvent mal vues, et parfois brimées par le pouvoir.

A la gare centrale de Varsovie, les réfugiés débarquent encore. Chargés de valises, étrangement silencieux, dans un défilé ininterrompu. Ils viennent d’un pays libre et indépendant, ils viennent d’un pays qu’un ennemi envahit et détruit. En quelques heures, ils ont été contraints à l’exil. A leur vue, une infinie tristesse, et la colère, vous saisissent. Comment en est-on arrivé là ?  La réponse est implacable : un dictateur l’a décidé ainsi.

La Pologne est en première ligne, consciente plus que quiconque de ce qui se joue dans cette guerre. Elle a fait le choix très vite, dès la chute de l’URSS, d’adhérer à l’OTAN et à l’Union européenne. Elle n’a jamais cessé de se méfier de la Russie, et de nous inciter à la méfiance. Elle sait aussi qu’elle est sur la liste russe des cibles possibles, après la Moldavie et les États baltes. Elle a donc fait le pari américain, et le renouvelle.

La Pologne est aux avant-postes, une fois de plus. Elle d’autant plus sensible à ce qui se joue à ses frontières qu’elle voit de près le combat pour la liberté. Elle est la plaque tournante du transfert de moyens vers l’Ukraine. Elle livre des armes. Elle s’engage, sans peur, pendant que l’Occident craint de mourir de froid, et de manquer d’huile. Elle en paie le prix. La Russie lui coupe le gaz.

Le rôle des États-Unis et de l’OTAN est crucial. L’organisation a renforcé son effectif à l’Est. Antony Blinken, le secrétaire d’État américain, en visite à Kiev, a annoncé de nouvelles aides. On commence à penser que l’Ukraine pourrait gagner la guerre. Preuve de la nervosité russe, Sergueï Lavrov évoque à nouveau une troisième guerre mondiale, et la menace, à peine voilée, de l’arme nucléaire.

La guerre en Ukraine va-t-elle changer la Pologne ? Le gouvernement espère que la crise va permettre d’effacer les différends avec Bruxelles. Le Parlement discute d’une réforme judiciaire qui soit conforme avec les directives européennes. Une nouvelle génération s’engage, éprise d’humanité et de générosité. Certains imaginent même que l’opposition puisse remporter les élections législatives l’année prochaine.

On en n’est pas encore là. Pour l’heure, la Pologne dessine. Elle a choisi le bleu du ciel et le blond des blés.

André Crettenand

La Lettre internationale du 30 mai : solidarité en jaune et bleu – Suisses à Kiev – Tell revisité – Enquête d’amour – Et aussi: Keller-Sutter, Marchand, Rau