La menace terroriste est au plus bas en Europe mais gangrène le Sahel — Genève Vision, un nouveau point de vue

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La baisse est particulièrement marquée en Europe et en Occident, qui sont désormais très largement épargnés par ce type d’attaques. « L’impact du terrorisme en Occident est d’environ 0,6% de l’impact global », détaille dans l’émission Tout un monde Serge Strobants, auteur de l’index et directeur de la sécurité globale à l’Institut pour l’économie et la paix.

Serge Strobants, auteur de l’index global sur le terrorisme

Le chercheur précise: « 97% des impacts terroristes ont lieu dans un pays qui est affecté par une forme de conflit. Et dans les 3% qui restent, la majorité des actes terroristes se passent dans un pays avec de hauts niveaux de terreur politique, ce qui n’est pas le cas en Europe ni en Occident ».

Serge Strobants précise également que la lutte contre le groupe Etat islamique porte ses fruits: « On se rend compte qu’on leur a enlevé cette capacité de mener des opérations d’envergure, comme à Paris en 2015 ou à Bruxelles en 2016. » C’est notamment le résultat d’une meilleure coopération dans l’effort anti-terroriste entre les services de renseignement et les polices des différents pays.

Motivations politiques

Autre évolution, les motivations « religieuses », qui étaient invoquées par les terroristes en 2015 et 2016, ont quasiment disparu. Désormais, les attaques motivées par des raisons idéologiques ou politiques sont cinq fois plus fréquentes.

« En Europe et en Occident, le terrorisme est désormais essentiellement motivé par des idéologies politiques d’extrême gauche et d’extrême droite », observe Serge Strobants. Il explique que ce phénomène est lié à une déstabilisation à plus large échelle de nos sociétés.

« On a vu que la violence sociétale a augmenté lors de la dernière décennie. Il y a une polarisation politique vers les extrêmes et on observe un renouveau de ces mouvements. Mais ces chiffres ne sont absolument pas comparables aux chiffres des années 70-80. Et même au niveau global, les chiffres des années 70-80 sont beaucoup plus hauts que ceux d’aujourd’hui. »

Le Sahel particulièrement touché

Si les attaques terroristes ont fortement diminué en Occident, ce n’est pas le cas dans d’autres régions du monde. Depuis 2019, le nombre d’attentats au niveau mondial ne baisse plus et s’est stabilisé dans un plateau résiduel qui n’évolue que très peu. « On voit le même nombre d’attaques, de blessés et de morts, et on voit aussi le même nombre de pays qui sont impactés », constate Serge Strobants.

Serge Strobants, auteur de l’index global sur le terrorisme

Les sociétés très instables constituent un terreau fertile pour les groupes terroristes, comme c’est le cas actuellement au Sahel. Pour Serge Strobants, cette région d’Afrique est désormais l’épicentre du terrorisme mondial. « Quelque 43% de toutes les attaques terroristes se passent dans cette région, et il y a clairement une concentration dans les pays comme le Mali et le Burkina Faso. »

Des soldats maliens en poste dans une localité du nord du pays, région soumise à une forte pression djihadiste. [MOULAYE SAYAH – KEYSTONE]

Lire aussi: Le Burkina Faso décrète la mobilisation générale face aux djihadistes

Selon le chercheur, cette prolifération des activités terroristes dans le Sahel fait notamment suite aux efforts anti-terroristes déployés au Nigeria, au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. « Il y a une redistribution vers ces zones déstabilisées, presque de non-droit, des zones où les niveaux de gouvernance sont très bas. Quelque part, ce sont des situations qui sont propices à plus de déstabilisation et aux activités de groupes terroristes internationaux. »

Insécurité climatique en cause

Pour que la lutte contre le terrorisme soit efficace à l’échelle globale, elle doit être accompagnée de mesures favorisant la stabilité des régions concernées. « Pour avoir un impact sécuritaire, il faut aussi faire un effort de stabilisation de société pour être sûr que ces groupes terroristes n’auront pas la capacité de reprendre là où ils ont arrêté leurs activités. C’est très important de créer des sociétés plus stables, plus pacifiques, pour empêcher, ou au moins atténuer l’impact de la radicalisation, du recrutement, de la violence extrême. »

L’instabilité des gouvernements et des sociétés n’est pas le seul facteur favorisant l’émergence des groupes terroristes. L’insécurité alimentaire et climatique joue également un rôle important. « Lorsque l’on regarde les cartes, on se rend compte qu’il y a une forte corrélation entre le niveau d’utilisation de la violence et les niveaux de dégradation écologique », constate Serge Strobants. Il conclut: « C’est vraiment une spirale négative où l’un renforce l’autre. »

Sujet radio: Patrick Chaboudez

Texte web: Antoine Schaub

Terrorisme et intelligence artificielle

Le développement de l’intelligence artificielle, symbolisé ces derniers mois par l’engouement suscité par ChatGPT, constitue une nouvelle menace potentielle.

Cela inquiète notamment Christina Schori Liang, spécialiste du terrorisme au Centre de politique de sécurité à Genève. « L’intelligence artificielle peut être utilisée à mauvais escient par les terroristes et les extrémistes pour recruter, pour répandre la haine et même soutenir les insurrections. »

« Les terroristes ont toujours adopté les nouvelles technologies »

La chercheuse craint que l’IA soit utilisée pour fabriquer des bombes sales ou pour créer des logiciels malveillants et d’hameçonnage très sophistiqués.

« On a vu dans le passé que les terroristes ont toujours adopté les nouvelles technologies. C’était le cas avec la dynamite, puis la kalachnikov, puis l’internet et les médias sociaux. »

« Mais aujourd’hui, l’intelligence artificielle avec ChatGPT leur permet de passer à l’échelle supérieure. Ils peuvent multiplier les angles d’attaque, car il n’y a pas de garde-fous. Je pense que les terroristes adopteront cette technologie, comme les 1,2 milliard de personnes qui l’ont déjà fait. Ils y verront un nouvel outil très efficace pour mener des attaques terroristes. »

L’épineuse définition du terrorisme

Les critères utilisés pour définir une organisation comme terroriste peuvent être problématiques, relève Elizabeth Decrey Warner, fondatrice de l’Appel de Genève, organisation très active dans les négociations dans les zones de conflit.

Elle souligne que les critères sont parfois fluctuants et que le label « organisation terroriste » peut avoir un impact pour les personnes qui travaillent sur le terrain.

« Il y a les risques de sanctions auxquels les humanitaires sont soumis, ce qui peut les pousser à renoncer à aller dans certaines régions pour éviter de prendre des risques financiers ou même d’être arrêtés. Et puis cela a un gros impact sur les combattants et les groupes armés, parce que certains se disent que s’ils sont de toute façon listés comme terroristes, ils vont se permettre de faire un peu n’importe quoi, puisque quelle que soit leur attitude, ça ne change rien. »

Quid du terrorisme d’Etat?

Exemple du côté parfois arbitraire de ces listes, l’ANC de Nelson Mandela était encore sur la liste américaine des organisations terroristes en 2008, bien après sa présidence en Afrique du Sud.

L’index global sur le terrorisme ne prend en compte que les groupes non-étatiques. Ainsi, les talibans qui sont désormais au pouvoir en Afghanistan ne sont plus inclus.

Pour Elizabeth Decrey Warner, cette distinction est discutable. « Les groupes armés se plaignent que les rapports ne se concentrent que sur leurs activités et leurs comportements, alors qu’il y a des Etats qui pratiquent du terrorisme d’Etat. C’est connu, mais on est beaucoup moins enclins à en faire des rapports, parce qu’il y a des pressions politiques », conclut-elle.