La lutte des stagiaires de l’ONU à Genève — Genève Vision, un nouveau point de vue

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Cette situation curieuse a fait les gros titres en 2015 avec ce stagiaire néo-zélandais qui disait dormir sous tente au bord du lac Léman. Son histoire, en fait une performance artistique pour un documentaire, a fait le tour du monde et a mis en lumière une situation absurde: l’ONU, – l’organisation internationale qui dit combattre la pauvreté, la faim, les inégalités et qui dit lutter pour le « travail décent » -, cette organisation ne paie pas une grande partie de ses nombreux stagiaires.

2500 stagiaires par année à Genève

En 2019, 80% des quelque 2500 stagiaires qu’emploient les Nations unies chaque année à Genève n’étaient pas rémunérés, selon l’Initiative pour des stages équitables, une association de défense des droits des stagiaires qui a fait un pointage juste avant la pandémie. A l’échelle mondiale et en temps normal, l’ONU emploie environ 5000 stagiaires chaque année, selon des chiffres de l’organe de contrôle interne des Nations unies.

L’absence de rémunération implique une sélection sociale importante. Les candidates et candidats ayant des parents ou des gouvernements qui puissent subvenir à leurs besoins sont favorisés, les autres vivent dans des conditions très difficiles. On constate ainsi une surreprésentation de stagiaires issus de pays riches dans ces postes qui sont souvent un passage obligé pour une carrière à l’ONU.

Des conditions qui s’améliorent

Cette situation est toutefois en passe de changer. Après que l’organe de contrôle interne de l’ONU a produit un rapport faisant l’état des lieux du problème et donnant des recommandations aux agences de l’ONU, plusieurs d’entre elles, l’OMS ou l’OMC, par exemple, les ont adoptées.

Certaines organisations ont un peu amélioré les conditions mais restent à des rémunérations modestes de 820 à 1300 francs par mois. D’autres enfin, comme le Secrétariat général, ne rémunèrent toujours pas ses stagiaires (voir encadré).

Depuis la production de ce rapport, le problème, ignoré il y a encore quelques années, a été mis à l’agenda à haut niveau, preuve « d’une prise de conscience qu’il faut payer les stagiaires », estime Albert Barseghyan, porte-parole de l’association Initiative pour des stages équitables.

A tel point que la Cinquième Commission de l’Assemblée générale, la commission du « Parlement » de l’ONU qui gère les questions administratives, s’est emparée du problème en mars dernier. A bout touchant, selon des sources proches du dossier, les négociations ont toutefois été reportées à 2022.

La Suisse s’engage à son niveau

Par la voix de sa porte-parole Léa Zürcher, la diplomatie suisse a dit « regretter ce report, malgré son engagement ». Un engagement qui se poursuivra l’année prochaine, assure le Département fédéral des affaires étrangères. Car malgré son caractère de pays hôte, la Suisse n’a qu’une petite voix à l’Assemble générale. Et l’introduction en octobre passé d’un salaire minimum dans le canton de Genève ne s’applique pas aux organisations internationales.

En dépit de ce report, Albert Barseghyan se montre enthousiaste: « On nous a assuré qu’on arrivera à un résultat sur ces questions-là et on est sûrs qu’en 2022, il n’y aura plus de stages non rémunérés au Secrétariat des Nations unies.

Après des années d’actions et de négociations avec les agences de l’ONU, les missions permanentes, voire les ONG de la Genève internationale, les associations de défense de droits des stagiaires sont en passe de remporter leur lutte. Albert Barseghyan et les autres y auront certainement acquis une grande expérience de la diplomatie. Là encore, bénévolement.

Michael Maccabez